Louis Morissette dans une scène du film Au revoir le bonheur.

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Un humoriste entreprenant

Louis Morissette [B.Comm 1995] est l’une des personnalités les plus influentes au Québec, que ce soit devant les caméras ou dans les coulisses. L’écrivain, acteur et producteur talentueux attribue une partie de son succès aux compétences en affaires qu’il a développées entre autres durant ses études de premier cycle à McGill. (This article is available in English.)

Article de Jean-Benoît Nadeau, B.A. 1992

mai 2022

Quand on considère l’impressionnant curriculum vitae de Louis Morissette [B.Comm 1995], il y a une ligne qui détonne. Car cet humoriste, artiste, comédien, acteur, scénariste – très connu du grand public québécois, et qui a même fait sa marque sur Netflix avec Le Guide de la famille parfaite en 2020 – est un diplômé en… commerce de l’Université McGill.

Erreur de jeunesse ? « On peut être artiste et avoir la bosse des affaires. L’art et la planification, ça va de pair », explique l’entreprenant humoriste, qui dirige une boîte de production, KOTV, qui emploie près de 100 personnes.

Il admet cependant avoir dû apprendre à concilier ces deux facettes de sa personnalité. « Oui, quand j’étudiais en commerce, je participais à des spectacles d’humour. Mais quand je suis arrivé à l’École nationale de l’humour, j’étais tout le temps en train de leur demander : “C’est quoi, l’objectif ? C’est quoi, le plan ?” »

L’humoriste de 48 ans, qui a goûté très tôt au vedettariat en devenant le conjoint de la populaire animatrice Véronique Cloutier en 2001, a grandi dans une famille entrepreneuriale de Drummondville. Son père, Jacques, avait fondé Venmar, devenu une grande marque dans la ventilation. « J’étais destiné à reprendre ses affaires. Mon père disait : “Toi, tu vas faire des études et tu vas parler anglais.” »

Et c’est d’ailleurs pourquoi le jeune Louis et deux de ses amis ont choisi de faire un bac en commerce à McGill plutôt qu’à Sherbrooke ou Québec comme la plupart des jeunes Drummondvillois. « Et on s’est retrouvé trois colocs qui baragouinaient l’anglais à McGill. Premier cours : psychologie sociale ! On ne comprenait rien ! On s’est dit : “C’est pas possible, faut s’organiser.” »

C’est dans ce cours que le trio drummondvillois tombe sur un autre trio francophone, « les gars de Joliette » qui éprouvent le même choc culturel. Parmi ceux-ci se trouve un certain Stéphane Rochon [B.Comm 1995]. « McGill m’a donné la rigueur et le sens de l’organisation, une connaissance inouïe de Montréal qu’on n’imaginait même pas à Drummondville, mais surtout mon meilleur ami. Après les études, Stéphane est parti dans l’assurance, mais il ne se passait pas trois jours sans qu’on se parle », dit Louis Morissette.

Stéphane Rochon, qui est depuis 2020 actionnaire de KOTV, dont il est président du conseil et chef de la stratégie numérique, admet avoir été mystifié en 1995 par le choix de son ami de renoncer à une carrière en marketing, sa branche forte. « Je ne comprenais pas pourquoi il irait gagner 18 000 dollars par année comme artiste ! Mais finalement, c’était le bon choix. Louis a un sens des affaires très aigu et un instinct du tonnerre. »

Tandis qu’il se fait un nom sur la scène et dans le grand public, d’abord au sein du trio Les Mecs comiques, puis en enchaînant les rôles dans toutes sortes de séries et de spectacles, Louis Morissette pratique déjà le mélange des genres. À chaque producteur qui l’embauche, il demande à voir le budget – une requête très inhabituelle venant d’un artiste.

« Je voulais comprendre leur modèle d’affaires. Un jour, un producteur a vu où je m’en allais et il m’a offert de m’associer. J’ai fini par coproduire mes propres affaires, avant de faire le saut comme producteur en 2011. »

Quand on lui demande ce dont il est le plus fier, on s’attendrait qu’il parle de sa série autobiographique Les Morissette, ou de la demi-douzaine de Bye Bye auxquels il a participé, ou encore de sa fondation Véro & Louis vouée aux autistes adultes. Mais Louis Morissette surprend une fois de plus.

« La chose dont je suis le plus fier, c’est de m’être placé en bonne position pour l’avenir, mais surtout de ma capacité de me relever. Surtout en 2004. »

2004, c’est son annus horribilis : deux séries dont il est la vedette – l’une avec Radio-Canada et l’autre avec TVA – sont annulées brutalement. Et son beau-père, le producteur et impresario Guy Cloutier, est arrêté (il écopera de trois ans et demi de prison). « On a passé un joyeux Noël. Véro qui n’était pas prête à reprendre les affaires de son père. Et moi, j’étais devenu toxique, professionnellement. »

Son remède contre la dépression : il imagine une série sur les comptables agréés dont il scénarise les 52 épisodes. La série C.A., dans laquelle il tient un des rôles principaux, fera un malheur sur la télé québécoise entre 2006 et 2010, en plus d’être exportée en France, en Bulgarie et au Kazakhstan.

Peu de temps après, il fonde avec le réalisateur Alain Chicoine et le producteur Louis-Philippe Drolet sa propre boîte, qui révélera au public sa fibre entrepreneuriale.

Le succès s’accompagnera de quelques maux de croissance et Louis Morissette envisage de tout vendre autour de 2019-2020. Il s’en ouvre à son père, qui avait vendu sa propre entreprise en 1995 au même âge. « Mon père m’a dit : “Je l’ai regretté. Ne fais pas cette erreur. Trouve autre chose.” »

La solution est simple : il décide d’élargir l’actionnariat de sa boîte de production pour doubler le nombre d’associés, auxquels il confie davantage de responsabilités. « C’est ça qui va assurer une pérennité », explique Louis Morissette, qui va ainsi pouvoir se consacrer à ce qu’il aime le plus : poursuivre ses projets personnels et réfléchir à l’avenir de son entreprise.

Louis Morissette se retrouve rarement sans un projet ou deux en développement. Mis à part Le Guide de la famille parfaite, on a pu le voir récemment dans le film Au revoir le bonheur de Ken Scott, où il joue l’un des quatre frères qui peinent à contrôler les tensions familiales après le décès de leur père. Il est également apparu dans Libre échange, une série sur un couple qui se réunit régulièrement pour prendre un verre avant leur rencontre hebdomadaire avec un thérapeute matrimonial. Cet automne, il animera Le maître du jeu, une version québécoise de Taskmaster, un jeu télévisé britannique populaire où des humoristes se livrent à des défis bizarres.

Plusieurs changements de mœurs importants secouent actuellement les piliers du monde du spectacle et du divertissement. Les structures de l’industrie du divertissement et plus particulièrement de l’audiovisuel craquent. Le public québécois regarde de moins en moins la télé, va moins au cinéma et se divertit davantage en ligne. « Moi, je fais de la télé. Ma fille ne la regarde même pas. »

Louis Morissette ne se fait pas d’illusions. L’industrie traverse encore de belles années parce que des plateformes canadiennes se sont multipliées. Crave, illico et Tou.TV achètent des contenus pour développer leur public – avec le soutien des gouvernements. « Ça va faire un temps, puis ça va se mettre à moins marcher. Elles vont commencer à serrer le robinet et les gouvernements vont commencer à dire : “On ne peut pas tout défendre.” Et là, ça va être le merdier. »

Peut-il se prémunir en profitant des occasions nouvelles pour exporter ? Après tout, Le Guide de la famille parfaite, dans lequel il jouait et qu’il a coproduit, a fait le tour du monde sur Netflix. « On a surtout eu de la chance. On est arrivé au début de la pandémie avec un film fini alors que tout fermait. Depuis deux ans, Netflix s’est fait proposer des centaines de projets québécois. Combien ils en ont pris ? Zéro. »

Louis Morissette explique qu’il existe un lien direct entre les moyens mis en œuvre et la capacité de toucher les publics étrangers. « Actuellement, on mise 500 000 dollars par heure produite et c’est gros. Mais pour créer quelque chose qui peut réellement se défendre sur les marchés, il faudrait quatre fois plus. »

Or, les règles des bailleurs publics, lourdement impliqués dans le financement de la production audiovisuelle au Canada, n’encouragent pas non plus les exportations. « Véro et moi, dans nos discussions pour l’attribution des fonds publics, nous ramenons constamment le point qu’il faut plus de budget pour les décors, l’éclairage, le son. Si on fait des jeux-questionnaires avec des petits décors bon marché, ça donne des petites émissions qui ne voyagent pas. Peut-être que la solution pour les gouvernements sera de soutenir moins de productions, mais avec plus d’argent. Mais on n’est pas rendus là. »

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