Lors de son premier jour en tant que nouvelle directrice de McGill, Suzanne Fortier a été accueillie au Roddick Gates par un groupe d’étudiants en chimie de McGill (Photo : Owen Egan/Joni Dufour)

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« Je serai reconnaissante à tout jamais »

Article de McGill News

novembre 2023

Au terme de neuf belles années passées à la barre de l’Université McGill comme Principale et Vice-Chancelière, Suzanne Fortier (B. Sc. 1972, Ph. D. 1976) a récemment quitté ses fonctions. Avant son départ, elle s’est confiée au McGill News, se remémorant son entrée par le portail Roddick le premier jour de son mandat et soulignant qu’il est fort probable qu’on la voie souvent sur le campus dans les semaines à venir.

Je vous ai interviewée lors de votre nomination comme principale. Je m’en souviens comme si c’était hier, et pourtant, neuf années ont passé et vous quittez maintenant vos fonctions.

Le temps a passé tellement vite! Le passage du temps a quelque chose d’étrange. Lorsqu’on entre en fonction dans un poste comme celui-là, on se sent comme « la nouvelle principale » pendant à peu près deux ans. Puis, du jour au lendemain, on devient LA principale, et tout le monde agit comme si on avait toujours occupé ce poste. Et comme si on n’allait jamais partir!

Vous souvenez-vous de votre première journée comme principale de McGill?

Je me souviens très bien du moment où j’ai franchi le portail Roddick. Des étudiants en chimie vêtus de leur sarrau étaient là pour m’accueillir. Ce portail a toujours été cher à mes yeux, parce qu’il me rappelle mon arrivée à McGill comme étudiante et suscite bien des émotions. La fébrilité de faire partie de l’Université McGill, bien entendu, mais aussi une certaine appréhension : est-ce que je vais y arriver? Est-ce que je vais être à la hauteur des exigences élevées de cette université?

Et cette appréhension, je l’avais aussi lors de mon entrée en fonction comme principale. McGill, c’est une communauté bien particulière remplie de personnes brillantes. On se demande si on saura bien représenter ces gens-là, si on sera à la hauteur de leurs attentes.

L’autre sentiment très intense dont je me souviens quand je repense à cette première journée, c’est celui d’être de retour au bercail. Je vivais loin de mon alma mater et de Montréal depuis 32 ans. Je revenais souvent, bien sûr, mais j’étais enchantée de pouvoir revenir vivre à Montréal. Jamais je n’aurais cru en être éloignée pendant autant d’années. J’ai vécu des choses formidables [dans ma carrière], et ce sont mes années à McGill qui m’ont ouvert toutes ces portes. Mais j’avais le sentiment profond d’être revenue chez moi. C’est formidable d’avoir pu terminer ma carrière ici.

Vous avez vécu le parcours mcgillois comme étudiante et, des dizaines d’années plus tard, comme principale. Qu’est-ce qui est resté intact depuis vos études, et qu’est-ce qui a changé?

Je n’ai jamais eu le sentiment d’être un simple numéro lorsque j’étais étudiante, et ça, c’est quelque chose qui n’a pas changé. J’ai côtoyé des gens qui avaient étudié dans d’autres universités et avaient eu le sentiment de n’être rien d’autre qu’un numéro sur une carte d’étudiant. Je n’ai pas du tout ressenti cela à l’Université McGill. Il y a des gens ici qui m’ont réellement aidée, parce que, oui, j’avais besoin d’aide parfois. D’abord, je ne parlais pas très bien anglais au début. Je sentais que j’appartenais à une communauté et qu’il y avait là des gens qui se souciaient de moi et étaient prêts à m’aider.

Je pense que c’est encore comme ça aujourd’hui. C’est quelque chose de fondamental à l’Université McGill. Et je pense que pour nous tous, c’est quelque chose de précieux.

Bon, il y a des choses qui ont changé, évidemment, et souvent pour le mieux. Déjà, lorsque j’étais étudiante, la communauté mcgilloise était très diversifiée, mais je ne pense pas que la diversité était valorisée comme elle l’est aujourd’hui. Je ne crois pas que l’Université ait toujours été aussi accueillante qu’elle aurait pu l’être avec les personnes considérées comme « différentes ».

Il est question du Bicentenaire depuis deux ans. Nous avons beaucoup de raisons de célébrer, mais force est d’admettre que certains pans de notre histoire sont moins reluisants que d’autres. Et je pense que nous avons tiré des leçons de cela. C’est beau de dire que l’Université McGill est accueillante, mais ça ne suffit pas. Il faut que chaque membre de notre communauté – les personnes autochtones, de couleur, en situation de handicap et de toutes orientations sexuelles et identités de genre – se sente ici à sa place. Il ne s’agit pas uniquement de les accueillir chez nous, puisqu’ils sont ici chez eux. Je pense que récemment, nous avons fait de grands progrès sur ce plan.

Je trouve que le chœur a cappella de McGill, Tonal Ecstasy, symbolise à merveille cette diversité. Ses membres ont de multiples identités et parcours. Ensemble, ils créent de superbes harmonies et unissent leurs voix dans une joie palpable. À mes yeux, ils symbolisent parfaitement ce que nous bâtissons à McGill.

Vous avez souvent dit que les universités pouvaient être de puissants moteurs d’inclusion sociale.

Il y a des années, j’ai participé à une cérémonie d’accueil de nouveaux étudiants au stade Molson. Comme j’avais un rendez-vous tout de suite après, j’ai sauté dans un taxi. Le chauffeur, qui ignorait qui j’étais, m’a dit que c’était un des plus beaux jours de sa vie, parce que son fils commençait ses études à l’Université McGill.

Son fils, m’a-t-il expliqué, était exceptionnellement doué et avait été accepté dans toutes les universités où il avait fait des demandes, y compris des universités américaines très prestigieuses. Mais le chauffeur lui a conseillé d’aller à McGill, parce qu’à McGill, il se sentirait à sa place. À McGill, il serait accepté. Il craignait que son fils n’ait pas ce sentiment d’appartenance dans certaines des autres écoles, qu’il ne s’y sente pas chez lui. Et ce n’est pas ce qu’il voulait pour lui.

Ça m’a touchée au plus haut point. Des personnes de tous horizons viennent à l’Université McGill. Nous voulons faire tomber les obstacles, en particulier les obstacles financiers, qui peuvent se dresser devant des étudiants qui ont de toute évidence le talent et l’ardeur à la tâche qu’il faut pour réussir à McGill.

Depuis 17 ans, dans son palmarès annuel, la revue Maclean’s classe McGill systématiquement au premier rang – parfois ex æquo avec un autre établissement – des universités canadiennes qui offrent des programmes de médecine et de doctorat, et c’est pour tous une grande source de fierté. Mais ma plus grande fierté, c’est que l’Université McGill arrive première au chapitre des bourses d’études et d’entretien. Nous nous sommes fermement engagés à offrir une solide infrastructure de soutien à nos étudiants, et grâce à l’aide précieuse de nos diplômés, nous y sommes arrivés.

Nos diplômés m’ont fait découvrir une expression anglaise que je ne connaissais pas : paying it forward. Elle décrit le sentiment de reconnaissance d’une personne qui a reçu de l’aide pour ses études et souhaite aider quelqu’un en retour.

Vous avez toujours accordé une grande importance à la qualité du parcours mcgillois en classe, mais également en dehors des salles de classe. Pourquoi?

Principale et Vice-Chancelière Fortier pose de manière ludique avec des membres des équipes de basketball de McGill (Photo : Owen Egan/Joni Dufour)

À mes yeux, le parcours universitaire doit avoir une multitude de volets. Ses composantes sont nombreuses. Bien sûr, on doit avoir d’excellents professeurs qui prodiguent un enseignement hors pair : c’est la base. Mais ça ne suffit pas. Les étudiants doivent avoir accès à bien d’autres choses, que ce soit des clubs étudiants, des stages de recherche, des sessions d’études à l’étranger ou du travail communautaire.

Je pense à la coupe Dobson et au centre McGill Engine, aux possibilités que nous offrons aux entrepreneurs en herbe qui ont de bonnes idées. Je pense à toutes les activités intéressantes que les étudiants organisent pour d’autres étudiants. Pour moi, tout cela fait partie de l’apprentissage et est essentiel. Lorsqu’un étudiant s’assoit sur la pelouse pour prendre un café en compagnie d’un autre étudiant qui a un vécu différent du sien, il enrichit son bagage. Tout cela n’a pas de prix. La pandémie nous a tenus loin du campus pendant plusieurs mois, et nous savons à quel point ces petits moments nous ont manqué.

Vous preniez le temps de participer à bon nombre de ces activités étudiantes. Vous aimez assister aux productions étudiantes de l’École de musique Schulich, c’est bien connu, mais vous alliez aussi à des cours et à divers événements de l’Université, des rencontres sportives notamment. Pourquoi était-ce important pour vous?

Je me suis vite rendu compte de tout ce que McGill avait à offrir : des conférences, des cours, des concerts, des événements sportifs. Je tenais à prendre le temps qu’il fallait pour profiter de cette belle offre, que ce soit un cours, un match de football, une activité destinée au personnel ou une conférence. Je voulais vivre ces beaux moments, quitte à travailler une heure ou deux de plus le soir pour me rattraper dans mon travail.

La session dernière, j’ai suivi un cours de linguistique et un autre de composition jazz. J’ai eu bien du plaisir! J’adore assister à des cours de maître en chant. J’ai assisté à de nombreuses conférences à l’Université. Souvent, on me demande d’adresser quelques mots de bienvenue à l’auditoire, et j’ai toujours essayé de rester sur place au moins pour l’allocution d’ouverture afin d’en apprendre davantage sur le thème de l’événement. Toutefois, je pouvais rarement me permettre d’être présente du début à la fin de la conférence.

J’entends participer plus souvent à ce genre d’événement et profiter davantage de tout ce que McGill a à offrir. Il y a quand même quelques bons côtés au fait de vieillir, dont celui-là. J’aurai du temps pour cela. De belles possibilités d’apprentissage s’offriront à moi.

Je compte rester active au sein de conseils et d’organisations voués à des missions qui me tiennent à cœur, comme l’avenir de l’enseignement supérieur, de la science et de la technologie. Mais surtout, je veux continuer à apprendre.

Une chose que vous n’auriez jamais pu prévoir lors de votre entrée en fonction, c’est que l’Université et le monde entier auraient à composer avec une pandémie. Dans quelle mesure nous en sommes-nous bien tirés, à votre avis?

Je suis infiniment reconnaissante à la communauté mcgilloise. Tout le monde est resté calme. Tout le monde est demeuré investi dans son travail. Les gens ont été solidaires. J’ai trouvé ça formidable. J’ai participé à de nombreux cours en ligne. Nos professeurs n’ont vraiment pas ménagé leurs efforts pour donner des cours intéressants et interactifs.

L’Université a poursuivi son travail. Nous avons fait des progrès appréciables dans des dossiers comme le projet Nouveau Vic. Nos chercheurs ont été très productifs. En fait, bon nombre de nos professeurs ont apporté une contribution digne de mention aux efforts qu’ont déployés le Canada et le Québec pour contrer la pandémie, notamment le Groupe de travail sur l’immunité face à la COVID-19, la Biobanque québécoise de la COVID-19, le Portail canadien de données du projet VirusSeq et l’Initiative interdisciplinaire en infection et immunité de l’Université McGill (MI4.)

Je me rappelle une conversation avec Marc Weinstein, vice-principal (Avancement universitaire), au début de la pandémie; il me disait que nous devrions peut-être revoir nos attentes à la baisse pour nos collectes de fonds à cause de l’incertitude ambiante. Marc a rarement tort, mais je me réjouis qu’il se soit trompé à cette occasion. Nous avons vraiment pu compter sur l’appui de notre communauté.

Je dois également souligner que l’Université n’aurait pas pu vivre cette période difficile à un meilleur endroit qu’au Québec. Le gouvernement considère l’enseignement supérieur comme un service essentiel et, très rapidement, il nous a assuré que nous pouvions compter sur son soutien financier, peu importe la taille de notre effectif étudiant. Il a su nous rassurer en période de profonde incertitude. 

Le gouvernement a récemment signifié son appui à la proposition de l’Université McGill pour le projet Nouveau Vic, auquel vous vous êtes beaucoup consacrée. Qu’espérez-vous pour la suite des choses?

Le développement durable, c’est tellement important. C’est l’un des grands défis de l’heure. Et c’est un défi complexe, d’où les nombreuses disciplines qui y sont conviées : chimie, géologie, biologie, génie et urbanisme, notamment. Et, bien sûr, nos spécialistes en politiques publiques seront grandement mis à contribution, parce que c’est une chose de trouver des solutions scientifiques, mais encore faut-il pouvoir les mettre en œuvre. Il faut amener nos dirigeants – et les électeurs qui les portent au pouvoir – à accepter ces solutions.

La grande question qui se posait, évidemment, était la suivante : où loger tout ce beau monde? Comme l’Université est située dans une enclave, les possibilités étaient plutôt restreintes.

Or, l’ancien site de l’Hôpital Royal Victoria est littéralement dans notre cour arrière. C’est un emplacement incroyable, certes, mais qui pose aussi de multiples problèmes, parce que c’est un site patrimonial, situé sur la montagne en plus.

Le gouvernement s’est résolument engagé à nous aider à redonner aux lieux leur beauté d’antan. À mon avis, nous avons soumis un projet exceptionnel. Ce complexe très accueillant deviendra un lieu emblématique non seulement de McGill, mais également de Montréal et du Québec.

Tout à l’heure, vous nous avez parlé de vos souvenirs d’étudiante. Quels sont vos plus beaux souvenirs de vos années à l’Université McGill comme principale?

J’ai vécu tellement de grandes joies et de moments de fierté. J’ai du mal à choisir!

Si je ne devais retenir qu’une chose, ce serait l’événement phare du parcours mcgillois : la cérémonie de collation des grades. Sur scène, j’étais toujours émue de voir la joie à l’état pur et l’enthousiasme sur le visage de nos nouveaux diplômés, tout comme le bonheur et la fierté dans les yeux de leur parents et amis.

C’était également très émouvant d’entendre des étudiants rendre hommage à un professeur lauréat d’un prix d’enseignement, ou de voir une personne honorée pour son dévouement lors de la remise des prix destinés au personnel administratif, présent partout à l’Université. Et aussi, bien entendu – les gens connaissent mon amour de la musique – les innombrables moments de grâce que m’ont fait vivre nos étudiants en musique. J’adore l’opéra, et c’est toujours un ravissement d’entendre ces superbes voix.

Il est d’usage, pour les personnes de mon âge, d’avoir une liste de choses qu’elles aimeraient réaliser. Moi, je préfère vous parler de la gratitude qui m’habite. Je suis pleine de gratitude pour les moments de fierté, les moments de joie, les moments de découverte et d’inspiration, et pour les moments d’amitié. Ce sont de merveilleux souvenirs auxquels McGill a largement contribué. Ce sont des moments que je chérirai jusqu’à la fin de mes jours et pour lesquels je serai reconnaissante à tout jamais.

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