Illustration de l’engin spatial DART s’approchant de l’astéroïde Dimorphos. (Image : NASA)

À la une

Aux manettes d’un essai spatial historique 

Hollywood raffole des scénarios où un astéroïde menace de percuter la Terre, comme dans Armageddon ou Déni cosmique. Julie Bellerose (B. Ing. 2003) a joué un rôle important dans la mission de la NASA ayant prouvé qu’il est possible de dévier ces corps célestes de leur trajectoire. (This article is also available in English.)

Article de Brenda Branswell

mars 2023

Tout le monde aspire à faire un travail intéressant. Mais les titres des projets qui apparaissent en objet de nos courriels n’arrivent pas à la cheville de ceux qui font le quotidien de Julie Bellerose (B. Ing. 2003). 

Cet hiver, elle a terminé son travail au sein de la mission DART, pour Double Asteroid Redirection Test, soit double test de redirection d’astéroïdes. Ensuite? Au tour de Lunar Trailblazer. 

« Je travaille maintenant à une mission lunaire », explique cette ingénieure du Jet Propulsion Laboratory de la NASA, le centre national de recherche et développement situé à proximité de Pasadena, en Californie, chef de file de l’exploration spatiale par robot. 

Originaire de la région de Montréal, cette diplômée en génie de McGill était cheffe de l’équipe de navigation de DART, cette mission révolutionnaire que la NASA décrit comme « le premier essai en grandeur réelle d’une technologie visant à protéger la Terre d’un astéroïde ou d’une comète dangereux ». 

Le 26 septembre 2022, après quatre années de travail pour la mission, Julie Bellerose et ses collègues regardaient avec fascination les images transmises par l’engin spatial DART se dirigeant vers l’astéroïde Dimorphos. On pouvait le voir s’approcher de plus en plus de sa cible, jusqu’à sa collision avec l’astre, dont est parvenue une image partielle. 

« C’était comme si l’astéroïde fonçait sur nous, raconte l’ingénieure. Nous avions les yeux rivés à l’écran. C’était vraiment extraordinaire. » 

Le premier test de déviation de la NASA a été un succès indéniable : l’impact a modifié l’orbite de Dimorphos autour de son astéroïde parent, Didymos, raccourcissant sa rotation de 33 minutes. 

La mission DART a récemment obtenu le prix Nelson-P.-Jackson de l’aérospatiale du National Space Club and Foundation des États-Unis, qui honore chaque année la contribution la plus remarquable dans ce domaine. 

Julie Bellerose mentionne que de petits débris continuent de pénétrer dans l’atmosphère terrestre, mais brûlent immédiatement. Elle rappelle également qu’en 2013, un astéroïde de la taille d’une maison a explosé à environ 18 km au-dessus de Chelyabinsk, en Russie, provoquant une onde de choc qui a fait éclater les fenêtres dans une grande partie de la région. 

« Pour l’instant, on n’a observé aucun corps céleste se dirigeant vers la Terre qui représente un danger important, mais ce n’est pas impossible, prévient Julie Bellerose. Il y en a sûrement que nous n’avons pas détectés. Certains se dirigent vers nous, mais sont en dehors du système solaire. Toute la communauté de défense planétaire a donc décidé de prendre les devants et de trouver des moyens d’empêcher un tel événement, car il subsiste des zones d’ombre dans l’état actuel des connaissances sur les interactions avec ces petits astres. » 

Julie Bellerose en train de réaliser un test d’aptitude lorsqu’elle était candidate astronaute
Julie Bellerose en train de réaliser un test d’aptitude lorsqu’elle était candidate astronaute. (Photo : Agence spatiale canadienne)

Julie Bellerose a grandi à Sainte-Julie, une ville de la Rive-Sud de Montréal. À l’adolescence, elle dévorait les films de science-fiction et les livres sur l’espace (fictions et non-fictions) d’auteurs tels que Hubert Reeves (M.Sc. 1956), Carl Sagan et Kim Stanley Robinson. 

Quand la Montréalaise Julie Payette (B. ing. 1986, D.Sc. 2003) a intégré l’équipe d’astronautes du Canada, la jeune fille s’est mise à rêver d’une carrière dans l’aérospatiale. « À partir de ce moment, c’était une réelle possibilité », dit-elle. D’ailleurs, des années plus tard, elle a failli suivre les pas de Julie Payette. En 2016, lors du concours de l’Agence spatiale canadienne pour le recrutement de deux astronautes, elle s’est classée parmi les 32 finalistes sur les 3 772 candidates et candidats. 

Elle a obtenu un baccalauréat spécialisé en génie mécanique de McGill en 2003. « Je dois avouer que le premier trimestre a été très difficile, à cause de l’anglais », s’esclaffe-t-elle.  À cette époque, son vocabulaire anglais se limitait à yes, no et toaster, plaisante cette francophone de souche. 

Durant sa première année à l’Université, elle glanait des informations sur l’aérospatiale auprès de ses professeures et professeurs. « Je garde d’excellents souvenirs de mon passage à McGill, notamment grâce à cette ouverture interdisciplinaire et aux conversations avec des membres du corps professoral et d’autres étudiantes et étudiants plus avancés qui m’ont aidée à trouver ma voie. » 

Elle a ensuite obtenu une maîtrise, puis un doctorat en génie aérospatial de l’Université du Michigan, suivis d’une année de postdoctorat à l’agence spatiale du Japon. 

Elle a travaillé au Jet Propulsion Laboratory durant plus de dix ans, dont plusieurs années au sein de la mission internationale Cassini pour le lancement d’une sonde spatiale et sa mise en orbite autour de Saturne. À ce moment, elle possédait de l’expérience en dynamique de vol et en conception de mission, mais Cassini lui a beaucoup appris sur la navigation. 

L’engin spatial DART a pris son envol en novembre 2021, suivant une trajectoire qui devait l’amener à percuter Dimorphos le 26 septembre 2022. Au cours de la période de dix mois entre le lancement et l’impact, Julie Bellerose et son équipe de navigation ont procédé à de nombreux tests. Lorsque la probabilité de l’impact a considérablement diminué à cause de certains facteurs qui n’avaient pas été pris en compte, l’équipe de mission a cherché l’erreur de modélisation et perfectionné le logiciel. 

Le rythme et l’intensité du travail se sont accrus au cours du dernier mois, jusqu’au moment fatidique de la collision : quand Dimorphos est devenu visible, des manœuvres d’approche ont permis de rectifier le tir avec une grande précision. « Le stress était à son paroxysme », témoigne la cheffe de navigation. L’engin a été mis à rude épreuve durant cette phase, ce qui a fait augmenter sa consommation de carburant et l’a « dirigé dans des directions imprévues », explique-t-elle. Heureusement, l’équipe a

résolu de nombreux problèmes une semaine avant la collision, de sorte que Julie Bellerose a bien dormi la veille du jour J. 

Le pilote automatique de l’engin spatial s’est mis en marche quatre heures avant l’impact. Lorsqu’il a percuté Dimorphos, l’émotion a envahi Julie Bellerose. 

« J’ai pleuré juste après. C’était un soulagement, confie-t-elle. Le dernier mois avait été extrêmement stressant. Je pense que j’ai éprouvé toutes les émotions possibles en cinq minutes. Le soulagement et la joie, mais aussi la tristesse d’avoir perdu l’engin et de voir la mission arriver à son terme. C’était fini et j’allais devoir dire adieu à mes collègues avec qui je ne travaillerais plus jamais. » 

Une série d’articles parus dans la revue Nature le mois dernier confirment la réussite de la mission DART. Nicola Fox, administratrice associée à la direction des missions scientifiques de la NASA, a déclaré : « Ces résultats enrichissent notre compréhension fondamentale des astéroïdes et jettent les bases de la manière dont l’humanité peut défendre la Terre contre un astéroïde potentiellement dangereux en modifiant sa trajectoire. » 

Julie Bellerose a vécu une expérience exceptionnelle à la tête de l’équipe de navigation de DART et au cœur de cette mission historique. « Nous nous sommes probablement égarés dans des subtilités et nous avons parfois perdu la vue d’ensemble de notre travail, admet-elle. Surtout au moment où j’étais au centre de l’attention des médias; j’ai réalisé que les gens s’intéressaient vraiment à cette mission. C’est une chance extraordinaire d’en avoir fait partie. » 

Back to top