Le film documentaire Dans l’ombre du Star Wars Kid revient sur cet épisode douloureux de l’adolescence de Ghyslain Raza. (Photo : Julien Cadena)

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L’histoire du Star Wars Kid 

Bien avant d’entreprendre de brillantes études en droit à l’Université McGill, Ghyslain Raza (B.C.L./LL.B. 2011, LL.M. 2020) a été rendu célèbre dans le monde entier – et il s’en serait bien passé. Premier mème viral sur la Toile, il explique dans un documentaire les conséquences que cette mésaventure a eues sur sa vie. (This article is also available in English.)

Article de Erik Leijon

mai 2022

À une époque, Ghyslain Raza (B.C.L./LL. B. 2011, LL. M. 2020) était l’une des plus grandes célébrités au monde – et il s’en serait bien passé. Il est considéré comme le « patient zéro », le premier mème viral sur la Toile qui a vu sa vie basculer. 

En 2002, cet adolescent de Trois-Rivières travaillait à la création d’effets spéciaux pour un projet vidéo scolaire. Mais ça ne se passait pas comme il le voulait. 

« Après quelques heures de travail, ben tanné, je dis : “Tiens, je déconne”, relate-t-il dans un documentaire sur son expérience. Alors, là, ça a donné la vidéo que vous connaissez […] faite par humour burlesque, si on veut, qui était pour moi-même […]. » 

Qu’y avait-il dans cette vidéo? Vous avez sans doute déjà vu sur Internet ces images d’un garçon de 15 ans en train d’imiter un Jedi sur un fond noir, ou l’une des nombreuses variations qui en ont émané. S’il existait un mont Rushmore des mèmes, le visage de Ghyslain Raza y serait gravé. 

Des camarades ayant découvert la vidéo l’ont publiée en ligne sans son consentement. Elle s’est répandue comme une traînée de poudre. On estime qu’elle a été vue plus d’un milliard de fois. 

Des émissions de télévision comme Arrested Development, South Park ou American Dad s’en sont emparées. L’animateur Stephen Colbert a invité son auditoire à y ajouter des effets. Le musicien Weird Al Yankovic l’a reprise dans un vidéoclip. 

Mais Ghyslain Raza et sa famille en ont gravement souffert. L’adolescent a subi les moqueries et les insultes des autres élèves (il a même dû changer d’école), il a reçu une avalanche de commentaires haineux sur le Web et s’est fait harceler par des journalistes jusque chez lui. 

Vingt ans après, il brise le silence dans le documentaire Dans l’ombre du Star Wars Kid de Mathieu Fournier, produit par l’Office national du film, qui expose les conséquences de cette vidéo sur sa vie. Mais le propos va encore plus loin. 

« Je voulais ouvrir un dialogue, explique le principal intéressé. Le documentaire va plus loin que l’anecdote, il informe et sensibilise au sujet de ce genre de problèmes. » 

En effet, Ghyslain Raza ne voulait pas focaliser le documentaire sur lui. Il voulait montrer les effets délétères de la culture du Web sur les personnes visées par les railleries qui prennent des proportions énormes. Aujourd’hui, le partage viral des contenus des médias sociaux est monnaie courante. Mais, à l’époque, Internet était encore le Far West, une sorte de territoire sans foi ni loi. C’est là qu’est née la légende du Star Wars Kid. 

Le documentaire donne la parole à Kate Eichhorn, chercheuse en études médiatiques qui s’intéresse aux effets des technologies numériques. « Quand on aborde l’histoire du cyberharcèlement, de la viralité, ou même de la mémoire numérique, on se doit de parler de la vidéo Star Wars Kid », affirme-t-elle. 

Bien que sa famille et lui soient marqués à vie, Ghyslain Raza a traversé cette épreuve et poursuivi ses objectifs avec une résilience remarquable. 

Encore sous le choc des visites intrusives de journalistes et de la poursuite judiciaire finalement abandonnée contre ses camarades ayant diffusé la vidéo, il s’est inscrit en droit à McGill et s’est concentré sur ses études, loin des projecteurs. 

« Je n’ai pas choisi le droit pour une raison consciente, à cause de ce qui m’était arrivé, assure-t-il. Les avocats [qui ont représenté ma famille dans cette affaire] étaient des personnes extraordinaires et ont eu une influence positive sur moi, mais l’histoire et la philosophie m’avaient toujours intéressé, et la Faculté de droit de McGill abordait aussi ces questions. » 

Jouissait-il d’un relatif anonymat à l’Université? Sans doute pas, mais il n’en a jamais pâti. 

« Personne n’est venu me dire quoi que ce soit, mais peut-être certaines personnes ont découvert après coup qui j’étais. Je suppose que les gens étaient au courant, mais tout le monde était extrêmement respectueux. Je dois dire qu’il ne s’est jamais rien passé. » Ses excellents résultats lui ont valu le prix de dissertation Wainwright et le prix Henri-Capitant pour son mémoire de maîtrise. Il poursuit actuellement un doctorat en droit à l’Université Queen’s. 

L’idée du documentaire a pris naissance lors d’une rare entrevue qu’il a accordée à L’actualité il y a une dizaine d’années. Il a rencontré Mathieu Fournier par l’entremise de la personne qui l’avait interviewé. Tous deux avaient la même vision d’un documentaire sur cet épisode de sa vie : en faire un instrument d’utilité publique, et non un reportage à sensation. 

Ghyslain Raza tenait également à explorer le phénomène à travers l’expertise de Kate Eichhorn et d’autres spécialistes. 

« Il y a quelque chose de surréaliste à raconter sa vie à des personnes qui s’en servent pour la recherche, dit-il. C’est aussi très intéressant de voir le contraste entre le Web d’il y a vingt ans et celui d’aujourd’hui. » 

À l’époque, l’adolescent a refusé d’utiliser sa notoriété pour s’enrichir. Et pourtant, les occasions ne manquaient pas. Il a reçu des demandes d’entrevues de Jay Leno et d’Oprah Winfrey, sans compter de lucratives propositions du Japon. 

Aujourd’hui, les gens n’hésitent pas à utiliser les médias sociaux pour se vendre, à des degrés divers. Ghyslain Raza est retourné à son ancienne école pour les besoins du documentaire, où des élèves lui ont parlé franchement de leur obsession pour les écrans. 

« À ce moment-là, la plupart des offres que je recevais étaient négatives, se rappelle-t-il. C’était le genre de propositions qui me dépouillaient de ma dignité. J’ai décidé très tôt de me couper de tout ce cirque. » 

« Il y avait peut-être d’autres moyens de réagir à cette situation, mais quand j’y repense, je suis certain d’avoir fait ce qui était bon pour moi. C’était ma propre décision, et je ne jugerai jamais les décisions des autres. » 

Aujourd’hui, il est peu présent sur Internet. 

« J’ai un compte Facebook qui me sert seulement à garder contact avec des personnes, précise-t-il. C’est probablement à la fois une réaction à ce que j’ai vécu et un trait de ma personnalité. J’ai toujours préféré les relations en personne plutôt que dans les médias sociaux. » 

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