L'astronaute canadien David Saint-Jacques lors de sa première plongée au Laboratoire de flottabilité nulle de la NASA à Houston, au Texas, où il a reçu une formation de marche spatiale.

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En route pour les étoiles

Médecin, physicien, ingénieur, astronaute canadien… et, à compter de 2018, chercheur à bord de la Station spatiale internationale. Le parcours du diplômé David Saint-Jacques n’a rien de banal! (This story is also available in English.)

Article de Jean-Benoît Nadeau, B.A. 1992

juin 2017

Àproximité de Moscou, au Centre d’entraînement des cosmonautes Youri-Gagarine, David Saint-Jacques travaille d’arrache-pied pour décrocher le permis de pilotage le plus exclusif qui soit : copilote du vaisseau Soyouz ! C’est à bord de cet astronef que l’astronaute canadien décollera en novembre 2018 vers la Station spatiale internationale (SSI) en banlieue de la Terre.

Pour gagner un billet de séjour aussi rare, à 400 km d’altitude, il faut être doué, et David Saint-Jacques a du talent à revendre. Parmi la douzaine d’astronautes du Programme spatial canadien, quatre sont médecins, six, physiciens et sept, ingénieurs. Mais David Saint-Jacques est le seul qui cumule les trois professions. « J’ai toujours eu la passion de vouloir tout comprendre. C’est mon péché mignon », dit le médecin de famille (rési-dence en médecine, 2007) et professeur auxiliaire au Département de médecine familiale. « Au début, c’était les étoiles, l’astrophysique, les mathématiques. En vieillissant, j’ai développé un intérêt pour l’humain. »

Tout comprendre et tout faire ! À 47 ans, David Saint-Jacques est aussi pilote d’avion, polyglotte (français, an-glais, espagnol, japonais et russe), plongeur de haut niveau, athlète accompli, passionné de voile et amateur de surf cerf-volant, qu’il a appris pendant les deux années où il était cochef du Département de médecine du centre de santé Inuulitsivik, à Puvirnituq, dans le Nord québécois.

Le compte à rebours pré-décollage aura été très, très long : dix ans. Il débute en 2008, lorsque David Saint-Jacques s’inscrit au programme de sélection des astronautes canadiens, qui dure un an et au terme du-quel deux élus sont choisis parmi 5 350 candidats. Et ce n’est qu’un début. En effet, pour participer à une mission spatiale, il doit encore suivre deux années de formation au sein de la NASA à Houston, puis s’astreindre à cinq années de basses œuvres : tester des scaphandres ou agir à titre de capcom, c’est-à-dire de responsable des communications entre Houston et la mission. Jusqu’à ce qu’enfin, en mai 2016, son nom apparaisse sur le tableau des départs ! Après quoi, il ne lui restera que 30 mois de formation théorique et technique.

« Il y aura consacré beaucoup plus de temps qu’à son doctorat en astrophysique ! » dit Chris Hadfield, le pre-mier astronaute canadien à marcher dans l’espace, devenu mondialement célèbre pour son interprétation en apesanteur de Space Oddity de David Bowie. « Sauf que personne ne risque de mourir en faisant son doctorat, alors qu’une erreur à bord peut coûter la vie à sept personnes et coûter des milliards de dollars. »

David Saint-Jacques passe la moitié de son temps à Moscou, où il montera bientôt dans le simulateur de vol après une grosse année de cours. Le reste du temps, il le partage entre Tokyo, Cologne, Montréal et Houston.

Tokyo et Cologne, c’est pour se former aux systèmes des modules des agences spatiales japonaises et européennes. Montréal, c’est pour le bras canadien. Houston, c’est pour s’exercer aux sorties dans l’espace, en scaphandre dans une piscine. Et aussi pour la conciliation espace-famille !

À 47 ans, David Saint-Jacques est marié à une médecin de famille, Véronique Morin, avec qui il a trois jeunes enfants de cinq, trois et un ans. « Je dois répondre aux attentes comme astronaute, comme père et comme mari. C’est ce qu’il y a de plus délicat, de plus périlleux. »

Ce dont convient Chris Hadfield, qui se remémore les longues conversations que sa femme et lui ont eues avec David Saint-Jacques et Véronique Morin dès 2009, juste avant qu’il signe son contrat d’embauche à l’Agence spatiale canadienne. « Ils n’étaient pas encore mariés, mais ils étaient conscients que c’était une décision très importante. »

CHANGEMENT D’ORBITE

« Quand David entreprend quelque chose, il va jusqu’au bout », dit Stéphane Desjardins, directeur des programmes spéciaux àl’Agence spatiale canadienne. Les deux amis se sont connus adolescents pendant les longs étés à la Pointe-aux-Anglais, au lac des Deux-Montagnes, où leurs familles respectives avaient un chalet. « Quand j’ai commencé à pratiquer la planche à voile, David s’y est montré très intéressé. Il était curieux, il posait beaucoup de questions. Finalement, l’élève a dépassé le maître. »

Ses premiers pas à l’université, il les a faits dans les traces de son père, ingénieur et astrophysicien. Après avoir obtenu un baccalauréat en génie en 1993, il passe au doctorat en astrophysique (Université de Cambridge, 1998) avant d’entreprendre un parcours postdoctoral au Japon.

Puis, soudain, à 31 ans, David Saint-Jacques change d’orbite et part étudier la médecine à l’Université Laval. Alors qu’on se serait attendu à le voir faire une spécialité en raison de son parcours, il opte plutôt pour la mé-decine familiale. « La partie scientifique de la médecine m’attirait moins que son côté relationnel. Un médecin travaille avec autant de données scientifiques que possible, mais ça reste un art. »

Diplômé de médecine en 2005 à 35 ans, il choisit de faire sa résidence à l’Université McGill. « D’abord pour la réputation de la Faculté, mais pas seulement. J’avais lu un article sur l’importance que McGill donne à la pra-tique en région éloignée, qui m’intéressait. [De plus,] j’éprouvais une sorte de curiosité sociologique de con-naître un autre côté de Montréal que je connaissais peu. »

Vania Jimenez (B. Sc. 1967, MDCM 1971), directrice de la division de la recherche en médecine familiale à l’Université McGill, a supervisé sa résidence avant d’œuvrer à titre de collègue dans le Nord québécois. « Il cherchait manifestement le côté humain », dit Vania Jimenez, qui a remarqué ce jeune médecin qui avait demandé à faire sa résidence à la Maison Bleue, un centre de périnatalité sociale à Côte-des-Neiges. « Mais ce qui distingue vraiment David, c’est sa capacité à communiquer. Il explique toujours clairement une situation. Que ce soit avec les patients, ou entre médecins pour discuter de questions éthiques ou lors d’un souper pour par-ler de physique quantique. »

Si David Saint-Jacques exprime quelques regrets en tant qu’astronaute, c’est de ne plus pouvoir faire autant de médecine qu’il le voudrait, tout juste assez pour maintenir ses compétences. « La médecine, il y a quelque chose de sacré, là-dedans. C’est une rencontre. On touche aux choses les plus importantes dans la vie des gens. On est chaque jour au bord des larmes. J’y ai trouvé une intensité d’émotion qui m’a rassuré quant à mon choix. Ça a valu la peine d’y mettre autant d’énergie. »

RETOMBÉES

À mi-chemin des préparatifs avant le grand décollage, le futur copilote du Soyouz ignore encore tout du pro-gramme de six mois qui l’attend à bord de la SSI, entre novembre 2018 et avril 2019. « Quelles expériences nous seront confiées ? Est-ce que je ferai une marche dans l’espace ? Vais-je être appelé à attraper un ravitail-leur à l’aide du bras canadien ? Ça va se décider dans l’année qui précède le départ. »

Bien qu’on ignore encore qui sera le commandant de la mission, la deuxième astronaute vient d’être nommée : l’Américaine Serena Auñón-Chancellor, ingénieure et spécialiste en médecine interne et en médecine spa-tiale. « Deux médecins lors d’une seule mission, c’est rare », blague David Saint-Jacques. « Ça veut dire qu’il y en aura toujours un de garde ! »

Cette nomination suppose que le programme scientifique de la mission pourrait être très orienté vers la médecine et les sciences de la vie. Cela tombe bien : outre la robotique, la principale contribution canadienne au programme spatial est justement en médecine.

L’un des grands défis des longs séjours dans l’espace et des voyages spatiaux est la vie à bord en l’absence de gravité, dans un environnement isolé et exposé aux radiations à fortes doses, dit-il. Comment aller plus loin, plus longtemps de manière sécuritaire pour que les astronautes revienent en santé et en un seul morceau?

David Saint-Jacques cite le problème commun des séjours prolongés, durant lesquels les astronautes perdent de la masse osseuse. « Ça ressemble à l’ostéoporose, sauf que cela survient de manière prévisible chez des sujets sains. Ça permet des expériences médicales presque parfaites. »

Les retombées des recherches biomédicales dans l’espace sont nombreuses. Grâce au fameux bras canadien, les chercheurs ont mis au point des outils pour la robotisation chirurgicale en neurologie, en oncologie et en pédiatrie. Les prochaines avancées seront en imagerie médicale et en biosurveillance — l’Agence spatiale canadienne travaille sur un maillot « intelligent » qui mesure, en continu, les fréquences cardiaque et respira-toire, l’activité électrique du cœur, la pression artérielle, la capacité respiratoire, la température de la peau, le niveau d’activité physique et le taux d’oxygène dans le sang, sans incommoder l’astronaute. « Dans le cas des vêtements « intelligents », nous nous rapprochons de l’étape de la fabrication, dit Stéphane Desjardins. Pour le maillot, on imagine des applications, par exemple en matière de suivi des patients en régions éloignées. »

Après avoir consacré deux ans à la médecine de premier recours au Nunavik, David Saint-Jacques est très sensible à cette question. Même s’il n’y vit plus depuis 2009, l’astronaute est toujours habité par le Nord québé-cois. Et le contact n’est pas rompu : il y est retourné quelques fois pour y faire des présentations aux élèves inuits et sa femme continue d’y pratiquer — lorsqu’elle peut ’absenter de Houston, avec trois jeunes enfants. « L’Arctique a été ma première expérience médicale et ma meilleure école de la vie », dit-il, en évoquant la beauté hallucinante du pays, la joie de vivre de ses habitants, leur force de caractère, leur résilience. « J’ai beaucoup appris des Inuits. Dans un petit village, il faut se rendre utile. Il n’y a pas de place pour le cynisme. »

FLY ME TO THE MOON

Et c’est à Puvirnituq que le destin a frappé à la porte de David Saint-Jacques en 2008 — en la personne d’une technicienne en radiologie, qui venait d’entendre parler d’un concours de recrutement à l’Agence spatiale canadienne.

« C’était un vieux rêve, dont je n’avais jamais parlé à personne. Elle m’a même dit : “Si tu ne postules pas, je vais le faire pour toi.” » Une candidature qu’il déposera d’ailleurs par communication satellite…

« Je m’en rappelle très bien parce que la technicienne n’arrêtait pas de lui chanter le classique de Sinatra, Fly me to the Moon », se remémore Lucie Nadeau (B.A. 1989, résidence en médecine 2001, M. Sc. 2004), pédop-sychiatre à l’Hôpital pour enfants de Montréal et professeure adjointe au Département de psychiatrie de l’Université McGill.

David Saint-Jacques n’avait pas la moindre idée de ce qui l’attendait. Le processus de sélection des astronautes est un véritable parcours du combattant qui inclut plusieurs épreuves de survie, certaines réellement dange-reuses : immersion prolongée, capacité de s’extraire d’un habitacle immergé, résistance à l’hypothermie, capa-cite d’éteindre un feu, de colmater une voie d’eau dans l’eau glacée, de contenir un déversement toxique.

Chris Hadfield a connu David Saint-Jacques durant la série d’entrevues de fond des 40 derniers candidats. « À chacun, je donnais mes coordonnées en leur disant de ne pas hésiter à m’appeler. Seulement deux l’ont fait. Le premier est David et le second, Jeremy Hansen, l’autre astronaute sélectionné. Ce n’est pas un hasard. Ça montre à quel point il faut être conscient de ce qui se passe. »

Durant tout ce processus, David Saint-Jacques éprouvera quelques sensations absolument nouvelles pour un super-performant comme lui. « Tout est pensé pour que tu te trouves poche un peu tout le temps. C’est ça, le plus dur. L’autre aspect difficile, c’est l’endurance psychologique que ça demande. Pendant un an, il faut se déplacer fréquemment et les convocations sont toujours à la dernière minute. On est donc dans un marathon émotif presque constant. Mais ça fait ressortir la qualité essentielle qu’ils recherchent : la ténacité. Un astro-naute, ce n’est pas quelqu’un qui est meilleur en tout, c’est quelqu’un qui ne lâche pas. »

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