Lorsqu’on lui demande quelle empreinte Suzanne Fortier (B. Sc. 1972, Ph. D. 1976) a laissée sur son alma mater au cours de ses neuf années de mandat, Ram Panda (M. Ing. 1971, MBA 1977), président du Conseil des gouverneurs de l’Université McGill de 2017 jusqu’à tout récemment, ne tarit pas d’éloges.
« Je suis proche de McGill depuis très longtemps, depuis mes études en fait, et cette période est, je pense, l’une des plus dynamiques de l’histoire de l’Université. »
Suzanne Fortier, 17e principale et vice-chancelière de l’établissement, a quitté ses fonctions le 5 septembre dernier. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il s’en est passé des choses à McGill au cours de ses mandats.
Un héritage impressionnant
Pendant son mandat, plusieurs centres d’études de premier plan ont vu le jour, dont l’École de santé des populations et de santé mondiale, l’École de politiques publiques Max-Bell et l’École Bensadoun de commerce au détail. Quant aux chercheurs de l’Université, ils ont été pour le moins prolifiques : en 2021 seulement, ils ont obtenu plus de 262 millions de dollars en subventions fédérales de recherche et d’infrastructure. Enfin, la subvention exceptionnelle de 84 millions de dollars versée au programme Un cerveau sain pour une vie saine par le gouvernement fédéral a assis solidement la réputation de l’Université McGill comme l’un des chefs de file mondiaux des neurosciences interdisciplinaires.
Par ailleurs, l’Université a fait des avancées appréciables en EDI (équité, diversité et inclusion) et a bonifié notablement les programmes d’aide aux étudiants; à titre d’exemple, depuis le début du premier mandat de Suzanne Fortier, l’Université a accru de 165 et de 44 pour cent, respectivement, le financement des bourses d’entretien et des bourses d’admission. Enfin, elle a offert une nouvelle jeunesse à son campus du centre-ville en réalisant des travaux d’infrastructure bien nécessaires, notamment sur la terrasse Leacock, sur la rue McTavish et dans l’allée centrale, qui s’étend depuis le portail Roddick.
Le principalat de Suzanne Fortier a également été marqué par le lancement du programme de bourses McCall MacBain, né grâce au don le plus généreux de l’histoire de l’Université, versé par John et Marcy McCall MacBain. L’Université McGill a également lancé sa campagne de financement la plus ambitieuse à ce jour, Forgé par McGill : La campagne de notre troisième siècle, assortie d’un objectif de deux milliards de dollars (dont plus de 1,65 milliard ont déjà été recueillis).
Et, bien sûr, nous ne saurions passer sous silence mars 2020, que personne n’avait vu venir.
« Elle a dû gérer une crise sans précédent : celle de la COVID-19, souligne Ram Panda. Aucun [dirigeant] n’a envie de composer avec une crise comme celle-là. Il n’y avait pas de modèle, il fallait naviguer à vue.
« Je trouve que nous avons eu une chance inouïe de pouvoir compter sur quelqu’un comme Suzanne, poursuit Ram Panda, sur une dirigeante chevronnée, réfléchie et calme, fermement déterminée à protéger les membres de notre communauté tout en assurant la poursuite des activités universitaires. J’étais aux premières loges pour l’observer, et je ne suis pas certain que les gens soient pleinement conscients de la complexité des problèmes qui se posaient. Je nous regarde aujourd’hui et je me dis que nous nous en sommes remarquablement bien sortis. »
Doyen de la Faculté des sciences et responsable académique du projet Nouveau Vic, Bruce Lennox a vu Suzanne Fortier à l’œuvre à de multiples occasions. « Elle ne cherche pas le feu des projecteurs, fait-il observer. Ce qui l’intéresse, c’est d’atteindre les objectifs fixés. Pour elle, ça a toujours été cela, l’essentiel. »
Ram Panda renchérit : « Elle n’aime pas attirer l’attention. Ce sont les résultats qu’elle veut mettre en avant, parce que pour elle, ils parlent d’eux-mêmes. »
David Eidelman (M.D., C.M. 1979) est doyen de la Faculté de médecine et des sciences de la santé, et vice-principal (Santé et affaires médicales). Dans des situations particulièrement délicates, dit-il, elle était une personne de bon conseil.
« Elle a beaucoup de doigté pour composer avec des questions parfois délicates. En mode solution, elle est souvent très créative. Elle est très bonne pour trouver une issue. »
Une dirigeante admirée de ses pairs
« À mon avis, Suzanne Fortier comptait parmi les grandes figures dirigeantes d’établissements postsecondaires au Canada », déclare Santa Ono (Ph. D. 1991), président de l’Université de la Colombie-Britannique et futur président (à compter du 13 octobre prochain) de l’Université du Michigan.
Santa Ono a récemment quitté la présidence d’U15, regroupement des principales universités de recherche du Canada. Suzanne Fortier était l’une des vice-présidentes du groupe. Il avait un grand respect pour le point de vue de sa vice-présidente sur des enjeux très divers. « En sa qualité d’ancienne présidente du [Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada], elle est l’une des grandes spécialistes du financement de la recherche lancée par des chercheurs au Canada. »
Fier diplômé mcgillois, Santa Ono a suivi de près le parcours de l’Université sous la direction de Suzanne Fortier. « J’ai vu que McGill s’était récemment classée au premier rang des universités canadiennes dans le [palmarès universitaire mondial QS 2022], et elle trône depuis des années au sommet du palmarès de la revue Maclean’s dans la catégorie des universités offrant des programmes de médecine et de doctorat. Voilà qui témoigne avec éloquence de la qualité du leadership stratégique de Suzanne. »
Pierre Cossette (M. Sc. 1999), recteur de l’Université de Sherbrooke, a côtoyé Suzanne Fortier au Bureau de coopération interuniversitaire (BCI), organisme qui, entre autres choses, veille aux intérêts des universités et des instituts d’enseignement supérieur du Québec. Ils ont collaboré au sein du conseil d’administration, puis du comité exécutif.
« Comme elle siégeait à de nombreux conseils à l’étranger, elle apportait toujours des éclairages intéressants, tout en sachant adapter ses idées et ses réflexions à la réalité québécoise, se rappelle le recteur. C’est une visionnaire pragmatique qui a un bon esprit d’équipe. »
À la barre de l’Université de Sherbrooke depuis 2017, Pierre Cossette considère Suzanne Fortier comme un modèle; d’ailleurs, dit-il, il a pu compter sur son appui et sur ses judicieux conseils lorsqu’il a brigué la présidence du BCI.
« Je dirais que ma collaboration avec Suzanne a été pour moi une sorte de classe de maître [en direction d’université], dont j’ai tiré de précieux enseignements… tout à fait gratuitement! »
Des liens solides avec le Québec
« Suzanne a tissé des liens très solides avec le gouvernement du Québec, affirme Ram Panda. Et ça a changé la donne pour nous, parce que McGill a souvent été considérée comme une université anglophone, mais Suzanne tenait à ce qu’elle soit reconnue comme une université de portée mondiale fermement enracinée au Québec. Selon moi, l’apport de McGill au Québec est davantage reconnu à sa juste valeur aujourd’hui. »
« Je pense que McGill [est mieux positionnée] dans l’écosystème universitaire du Québec, parce que Suzanne a su mettre en valeur la richesse de l’Université et les bienfaits qu’elle apporte à toutes et à tous, estime Pierre Cossette. Aujourd’hui, les décideurs d’ici comprennent mieux l’Université McGill. »
« Sa capacité de faire valoir les intérêts de l’Université auprès du gouvernement provincial a été déterminante pour nous », considère Christopher Manfredi, qui a occupé le poste de vice-principal exécutif et vice-principal aux études à l’Université McGill pendant l’essentiel du mandat de Suzanne Fortier. « C’était le cas lorsque les libéraux étaient au pouvoir, et c’est encore le cas sous le règne de la CAQ. »
Depuis l’arrivée de Suzanne Fortier à la direction de l’Université, l’approche de financement des universités s’est globalement améliorée au Québec; la province a augmenté les subventions versées aux universités québécoises pour leurs dépenses en investissement, et McGill a affecté ces sommes à des travaux d’entretien urgents. En outre, le gouvernement a appuyé solidement le projet Nouveau Vic et collaboré étroitement avec McGill à la mise en place du Campus Outaouais, nouveau complexe de la Faculté de médecine et des sciences de la santé installé en Outaouais et où l’enseignement se déroule dans la langue de Molière.
Suzanne Fortier a été très en vue également sur la scène internationale comme présidente du Global University Leaders Forum du Forum économique mondial. « Elle a grandement contribué au resserrement des liens entre McGill et un réseau international d’universités partenaires ainsi que leurs chercheurs », affirme Martha Crago (B.A. 1968, M. Sc. [A] 1970, Ph. D. 1988), vice-principale (Recherche et innovation) à l’Université McGill.
« Aucun détail ne lui échappe, fait observer le Dr Eidelman. Les chiffres l’intéressent. Elle est très méticuleuse. C’était la relectrice en chef de l’Université. Elle remarquait régulièrement des choses qui nous avaient échappé à tous. Cela dit, je ne veux pas donner l’impression qu’elle se perd dans les détails, parce que c’est tout le contraire. Elle a toujours le recul qu’il faut pour voir la situation dans son ensemble. »
« Elle était toujours très réfléchie dans ses actions. Ce n’est pas le genre de personne à agir sur un coup de tête », poursuit Christopher Manfredi, récemment nommé principal intérimaire.
« Elle est restée elle-même »
Femme d’affaires et philanthrope montréalaise, Elizabeth Wirth (B.A. 1964) est une fidèle alliée de l’École de musique Schulich. Suzanne Fortier et elle admirent au plus haut point le talent des étudiants et la qualité des productions de l’École. Cette passion commune a fait naître entre elles une profonde amitié.
« Il se dégage d’elle une chaleur et une gentillesse qui ne laissent personne indifférent, nous confie-t-elle. Elle [prenait] ses fonctions de principale très au sérieux, mais elle n’est pas prétentieuse pour deux sous. Elle est toujours restée elle-même. »
« Lorsqu’elle rencontre quelqu’un, il y a toujours chez elle une grâce naturelle et de la spontanéité », souligne Louis Arseneault, vice-principal (Communications et relations externes) à l’Université McGill. Qu’elle s’adresse à un chef d’entreprise, à une personnalité locale, à un professeur qui lui parle de ses travaux ou à un étudiant, elle sait mettre les gens à l’aise. »
C’est d’ailleurs un constat qu’a pu faire Mohammed Ashour (M. Sc. 2011, MBA 2019), aujourd’hui président-directeur général d’Aspire Food Group. Précurseur mondial de l’élevage d’insectes, cette entreprise a été cofondée par un groupe d’étudiants de McGill, à qui cette idée avait valu, en 2013, un prix de un million de dollars : le prix Hult. Après cette victoire, Mohammed Ashour a toutefois dû relever un défi de taille : transformer un concept novateur en une entreprise viable.
« Je me revois, assis dans le bureau [de la principale]; j’étais un véritable moulin à paroles et elle m’écoutait patiemment… Puis, elle m’a posé les bonnes questions, celles qui allaient m’aiguiller vers les bonnes décisions », se remémore-t-il dans une vidéo hommage récente à Suzanne Fortier. « Elle a vraiment à cœur d’appuyer ses étudiants. »
Un accès à un passeport crucial
Marc Weinstein (B.A. 1985, B.C.L. 1991, LL. B. 1991), vice-principal (Avancement universitaire) à l’Université McGill, abonde dans le même sens, ajoutant que ce n’est pas un hasard si l’appui des étudiants est au cœur de la campagne Forgé par McGill.
« Elle a toujours eu le souci d’agir dans l’intérêt des étudiants d’abord et avant tout, et de bonifier l’expérience étudiante », précise le vice-principal.
« Je pense qu’elle se revoie un peu dans chacun des étudiants qu’elle rencontre. Suzanne vous dira qu’elle vient d’un milieu très modeste. Elle dit souvent qu’un diplôme universitaire, c’est un passeport qui vous ouvre des portes, un passeport que personne ne peut vous enlever. Selon moi, c’est pour ça qu’il est si important à ses yeux de bonifier l’aide financière aux étudiants. Son souhait, c’est que tous aient accès aux études, peu importe le milieu d’où ils viennent. »
Suzanne Fortier a porté de nombreuses initiatives en ce sens. Par exemple, l’Université McGill et la Fondation Mastercard se sont unies pour créer le Programme de bourses de la Fondation Mastercard : ainsi, des étudiants talentueux de l’Afrique subsaharienne reçoivent une formation à McGill et tout le soutien nécessaire pour aller au bout de leur potentiel. En outre, McGill est la première université canadienne partenaire de l’Université du peuple, établissement universitaire à but non lucratif et exempt de droits de scolarité, donnant accès aux études supérieures à des étudiants du monde entier dont la soif de savoir se heurterait autrement à des obstacles financiers ou autres quasi insurmontables.
Selon Marc Weinstein, l’Université doit en grande partie à Suzanne Fortier le succès de la campagne Forgé par McGill. « McGill n’aurait pas pu rêver d’une meilleure ambassadrice. Lorsqu’elle parle de l’Université, on sent à quel point elle y est attachée. C’est un attachement profond et sincère. »
Suzanne Fortier a quitté ses fonctions, mais l’Université continuera de profiter des énormes retombées de son travail, fait observer Ram Panda.
« Le projet Nouveau Vic, ce pôle de développement durable de haut calibre, le projet Fiat Lux, qui fera de la Bibliothèque de McGill un lieu d’apprentissage entièrement repensé et branché sur le XXIe siècle… Ces projets-là se concrétiseront dans quelques années seulement, mais ils vont véritablement transformer l’Université. Les effets tangibles du travail de Suzanne Fortier se feront sentir pendant des années encore. »
« La conjoncture actuelle est sans doute l’une des plus favorables de l’histoire de l’Université McGill, avance David Eidelman. Nous avons des professeurs hors pair. Nous avons des étudiants hors pair. Il y a longtemps que nos finances ne se sont pas portées aussi bien. Et je pense que le mérite revient en grande partie à Suzanne Fortier. »
« Elle nous a fait entrer dans le nouveau siècle, souligne Bruce Lennox. Selon moi, McGill est une meilleure université aujourd’hui qu’il y a neuf ans. »