Lorsque la clown Melissa Holland visite des enfants, c’est en tant que Dre Fifi (Photo: Nathalie Choquette)

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La valeur thérapeutique de l’art du clown 

Melissa Holland, B. Ed. 1998, est la cofondatrice et codirectrice artistique de la Fondation Dr Clown. Les clowns thérapeutiques qualifiés de la troupe (et cela l’inclut) offrent réconfort, compassion et éclats de rire à des enfants hospitalisés et des personnes âgées en établissements de soins. (This story is also available in English.)

Article de Christopher DeWolf, B.A. 2006

mai 2024

Melissa Holland (B. Ed. 1998) est bien consciente de ce que certains pensent des clowns.  

« Chaque fois que quelqu’un mentionne Ça… », dit-elle sans terminer sa pensée en faisant référence au roman d’horreur de Stephen King, paru en 1986, qui raconte comment un clown maléfique tourmente de jeunes enfants. Beaucoup de gens sont troublés par des créatures comme le Pennywise de King ou le Twisty dans American Horror Story ou le Joker. « Mais ce ne sont pas des clowns. Ce sont des monstres », affirme Holland. 

Elle est bien placée pour le savoir. Holland est elle-même une clown. Véritablement. 

En 2002, Holland a cofondé la Fondation Dr Clown, dont les clowns thérapeutiques apportent joie, soulagement et réconfort aux enfants hospitalisés et aux personnes âgées vivant en établissements de soins. De nos jours, les 56 clowns à l’œuvre dans 65 établissements sont encadrés par des experts médicaux spécialisés, entre autres, en neuropsychologie, en soins pédiatriques et en soins gériatriques.  

Holland et les autres clowns de la fondation visitent plus de 40 000 enfants et 45 000 personnes âgées chaque année. 

Les premiers clowns thérapeutiques au Canada et aux États-Unis datent de 1986. Depuis, leur impact positif est bien documenté. Des études montrent que les clowns en milieu médical soulagent l’anxiété des patients, améliorent leur humeur et facilitent la communication avec les médecins et le personnel infirmier – ce qui peut être bénéfique pour leur état de santé. 

Médecins habillés en clowns avec une patiente âgé
Melissa Holland (à droite) salue une résidente du Centre gériatrique Maimonides Donald Berman (Photo: Nathalie Choquette)

Holland ignore tout cela lorsqu’elle fait ses premiers pas comme clown. Née et élevée à Montréal au sein d’une famille passionnée de théâtre, elle commence à interpréter du Shakespeare lorsqu’elle est enfant et finit par étudier le théâtre pendant un an au Collège John Abbott.  

L’expérience la laisse sur sa faim. Elle aime la camaraderie de jouer avec d’autres interprètes et être sous les feux de la rampe. « Mais le fait d’être si centré sur soi semblait vide de sens », confie-t-elle. Si elle devait se produire, elle voulait que ce soit au service de quelque chose d’autre que sa satisfaction personnelle. 

Elle s’inscrit au programme en éducation et art dramatique d’une durée de trois ans à l’Université Concordia. Elle obtient ensuite un baccalauréat en éducation à McGill. À l’époque, elle suit aussi un stage d’été avec Sue Morrison, maître clown.  

« Cette expérience a été la plus étonnante, la plus créative, la plus personnelle et la plus spirituelle qui soit », dit-elle. Plutôt que d’inventer un personnage, le clown « n’est en fait qu’une version exagérée de soi-même ». Des traits de caractère qui auraient pu être masqués se révèlent. « Ça peut être très thérapeutique. On en ressort avec beaucoup de profondeur. » 

Même si Holland apprécie l’expérience, elle estime que son temps en tant que clown s’arrêtera là. Elle ne souhaite pas devenir clown de cirque ou de fête. C’est donc munie d’un visa vacances-travail qu’elle s’installe en Écosse pour enseigner l’art dramatique.  

Sur place, elle apprend l’existence d’un projet pilote dans le cadre duquel des clowns viennent en aide à des patients hospitalisés. Elle suit une formation psychosociale de six semaines et se lance avec un partenaire. Elle a l’impression d’avoir enfin trouvé sa voie. « J’ai presque dû me pincer », dit-elle. 

« Le but est de donner le contrôle à l’enfant. Ainsi, lors d’un tour de magie, un enfant le réussira d’un seul coup de baguette magique, alors que tous les efforts des clowns échouent. » 

Melissa Holland, cofondatrice de la Fondation Dr Clown. 

À l’expiration de son visa, Holland s’engage à poursuivre son travail au Canada. Des programmes pour clowns thérapeutiques existaient ailleurs au pays, mais pas au Québec. En travaillant brièvement pour l’un de ces programmes à Windsor, elle rencontre un autre amateur de clowns, Olivier-Hugues Terreault, et de concert avec Florence Vinit et Germaine Gibara, ils créent la Fondation Dr Clown en 2002. 

Leur façon de travailler peut être différente de ce que la plupart des gens imaginent. Il ne s’agit pas de clowns de cirque aux couleurs voyantes et au maquillage exagéré; ce qui les distingue, c’est tout simplement leur nez rouge. Chaque clown incarne un personnage qu’il a façonné au cours de sa formation et auquel il a beaucoup réfléchi.  

Ainsi, lorsque Holland interagit avec des personnes âgées, c’est en tant que Chérie Labelle, une clown qu’elle décrit comme suit : « naïve, curieuse, taquine, à la recherche de l’homme idéal, qui doit être plus grand qu’elle et au moins avoir un travail. Elle aime les biscuits aux pépites de chocolat, les histoires d’amour, chanter et danser, bien qu’elle ne soit pas très douée pour ces deux activités, ce qu’elle ignore d’ailleurs. Elle fait toujours son possible. » 

À l’hôpital, les clowns frappent à la porte d’une chambre, et si un enfant ou ses parents les autorisent à entrer, ils jouent leur rôle. « Notre mission est très différente de celle d’un médecin ou d’une infirmière dont les tâches cliniques sont définies », dit Holland. « L’attitude du clown en est une d’ouverture et de curiosité. Nous ne présentons pas un spectacle, mais personnalisons une visite pour chaque personne rencontrée. Le but est de donner le contrôle à l’enfant. Ainsi, lors d’un tour de magie, un enfant le réussira d’un seul coup de baguette magique, alors que tous les efforts des clowns échouent. » 

Lors de La Belle Visite, le programme destiné aux personnes âgées, les clowns de la Fondation adoptent une approche différente : vêtus à la mode des années 1950, ils jouent le rôle de membres d’une grande famille élargie en visite. « Avec les personnes âgées, ce sont surtout des questions de vie qui sont abordées. Elles se sentent vulnérables et vous voulez qu’elles se sentent valorisées », dit-elle. 

En 2009, la fondation s’est retrouvée de façon inattendue au centre d’un débat, après avoir reçu une subvention du gouvernement du Québec pour aider à fournir des services dans des résidences de soins. Une vague de couverture médiatique négative a laissé entendre que la fondation était frivole : le gouvernement payait pour des clowns alors qu’il n’était même pas en mesure d’assurer les services de base.  

Aujourd’hui, les bienfaits des clowns thérapeutiques étant mieux compris et appréciés, la fondation cherche à étendre ses services. Elle se penche sur la façon d’aider des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, des enfants autistes ou ayant d’autres besoins particuliers, ou encore des adultes recevant des soins palliatifs. Au-delà du système de santé, travailler auprès de prisonniers, de sans-abri ou de demandeurs d’asile fuyant des circonstances traumatisantes pourrait être possible.  

Bien que gratifiant, le travail des clowns peut s’accompagner d’une charge émotionnelle. D’où les réunions psychosociales organisées régulièrement — et un thérapeute sur appel — pour surmonter la difficulté de voir des patients souffrir ou décéder. « Le port du nez de clown donne une certaine licence pour être libre dans ses émotions et ses échanges. Mais à la fin de la journée, vous l’enlevez et vous avez ce sentiment de “Wow, c’était quelque chose”. Vous composez avec tant de couches de vulnérabilité », dit Holland. 

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