Photo: Roger LeMoyne

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La culture québécoise, c’est un peu elle 

Présidente-directrice générale de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), Louise Lantagne (B.A. 1977) est un soutien essentiel à la culture québécoise, qu’elle fait rayonner dans le monde entier.

Article de Jean-Benoît Nadeau, B.A. 1992

novembre 2024

Rien de ce qui est culturel au Québec n’est étranger à Louise Lantagne (B. A. 1977), PDG de la Société de développement des entreprises culturelles, mieux connue sous l’acronyme SODEC.  

Cet organisme touche-à-tout – cinéma, musique, édition, arts visuels, patrimoine, numérique, métiers d’arts – est le vaisseau amiral de la culture au Québec avec un budget annuel de 230 millions de dollars, soit le quart du budget total du ministère de la Culture et des Communications, sans compter les quelque 700 millions de dollars de crédits d’impôt qu’elle octroie. 

C’est grâce au concours de la SODEC que le film Une Langue universelle s’est poussé une place à Cannes (prix du public) et aux prochains Oscars (candidature canadienne, catégorie Meilleur film étranger). Que les auteurs québécois Kevin Lambert et Éric Chacour ont pu percer en France (respectivement Prix Médicis 2023 et Prix Femina des Lycéens 2023). Et que l’Allemagne a acquis les droits sur la série Plan B après la France et la Belgique.  

« Notre travail est de faire rayonner la culture par tous les moyens », dit Louise Lantagne. Dans les faits, cette action prend bien des formes : la SODEC organise des missions ; tient kiosque à Cannes, à Berlin, à Francfort ; organise des rencontres – par exemple entre les éditeurs musicaux et les superviseurs de musique de film à Toronto. « Nous créons les occasions. On n’est pas une boîte à subventions. » 

Une littéraire gestionnaire 

Louise Lantagne est la première surprise de s’être ainsi retrouvée en 2018 à la tête d’un tel organisme. « À l’origine, j’envisageais une carrière dans l’édition, sauf que je n’ai jamais trouvé la porte », raconte celle qui a terminé ses trois années de baccalauréat en littérature française et québécoise avec une médaille d’or du gouverneur général. « J’ai adoré mes trois ans à McGill pour la qualité académique et pour la diversité culturelle. » 

Après deux années de scolarité de maîtrise, elle s’oriente vers le droit à l’Université de Montréal. Devenue avocate, elle travaille au cabinet de la ministre de la Condition féminine, puis à l’Office des services de garde à l’enfance, tout en écrivant des romans qui ne trouvent aucun éditeur. Puis en 1991, elle entre à la SODEC. « Au lieu de lire des livres, j’ai lu des scénarios. » 

Elle y passera huit ans, puis quinze à Radio-Canada, notamment à titre de directrice générale de la radio, puis de la télé, et encore quatre comme vice-présidente chez Attractions images, une boîte de production privée.  

Pressentie par un chasseur de têtes pour diriger la SODEC, elle a d’abord dit non. Satisfaite de pouvoir travailler plus étroitement avec les créateurs chez Attractions, Louise Lantagne n’était pas non plus certaine de vouloir faire face aux pressions qui seraient probablement associées à la direction de la SODEC. 

Les chasseurs de têtes l’invitent à reconsidérer sa décision. Elle réalise alors l’occasion unique qui s’offre à elle : celle de diriger un organisme public qui joue un rôle crucial dans le soutien de la culture québécoise. « Cela m’a fait changer d’avis.» 

« Notre travail est de faire rayonner la culture par tous les moyens. Nous créons les occasions. »  

Louise Lantagne, présidente-directrice générale de SODEC 

Structure totalement originale au Canada, la SODEC est l’un des deux piliers de l’action culturelle québécoise, avec le Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ), qui gère un budget presque équivalent. « Le CALQ est principalement destiné aux créateurs et aux artistes, alors que la SODEC est vouée aux entreprises. » 

Son nouveau slogan – Briller ici comme ailleurs – résume l’action d’un organisme complexe qui compte 137 employés gérant une multitude de programmes, de subventions, de crédits d’impôt.  

L’esprit général concerne le développement entrepreneurial quant à l’expertise fiscale, la stratégie, déploiement international, la structure d’entreprise et de financement, la valorisation de propriété intellectuelle, le développement du savoir-faire. 

Cette activité foisonnante vient avec son lot de surprises. Ainsi, les cinéphiles ont vu passer le logo de la SODEC au générique de Deadpool & Wolverine, l’un des grands succès mondiaux à l’été 2024. Marvel serait-elle devenue québécoise ? Vérification faite, un sous-traitant étranger, le studio londonien d’effets visuels Framestore, a utilisé son antenne montréalaise pour profiter des crédits d’impôt québécois. Or, la SODEC exige, entre autres contreparties, que son logo figure au générique. Chose faite.  

Évolutions à venir 

Forte d’un nouveau mandat de cinq ans, Louise Lantagne se prépare à réinventer l’organisme. Sans casser la baraque ni tout remettre en question. Après tout, ses prédécesseurs avaient commencé à développer la place de la culture québécoise dans le cyberespace il y a bien longtemps.  

Mais l’évolution des pratiques et des technologies exige un dépoussiérage constant. Elle cite notamment un nouveau programme destiné à soutenir les producteurs d’expérience numérique, dont les 17 premiers bénéficiaires sont des entreprises telles Moment Factory et Studios Félix & Paul, entre autres.  

Travaillant main dans la main avec les organismes subventionnaires fédéraux, Louise Lantagne se réjouit de voir enfin Ottawa commencer à régir le cyberespace à travers le CRTC. « Il n’y aura pas de solution miracle. Nous collaborons étroitement avec la France, qui est très avancée en la matière de redevance sur la diffusion en continu. C’est un long voyage qui n’est pas fini, alors on fonce et on prend notre place. » 

Louise Lantagne est également très occupée à revoir le fonctionnement de la banque d’affaires de la SODEC. Cette structure dotée d’un capital de 34 millions de dollars proposait surtout des prêts ou des garanties de prêts, mais Louise Lantagne voudrait pouvoir faire davantage d’investissement direct. « Actuellement, on ne peut pas investir sans l’approbation du conseil des ministres. On a besoin de plus d’autonomie. » 

Cette banque d’affaires a été impliquée, notamment, dans plusieurs cas récents de rachats d’entreprises culturelles, telles KOTV, Trio Orange, Encore, Attraction. « Au moment où le fondateur se retire, on souhaite que nos plus belles entreprises restent québécoises. Notre banque d’affaires a permis de financer des reprises par une 2e génération, mais il y a encore davantage à faire. » 

La SODEC s’oriente également pour assurer davantage de diversité culturelle. Elle réserve déjà 20 % de ses fonds pour des projets dans une autre langue que le français – le film Une Langue universelle se déroule en français et en farsi –, mais la SODEC souhaite aller plus loin.  

L’organisme avait envisagé de procéder comme il l’avait fait pour la parité homme-femme, en poussant les producteurs à réserver une production à une équipe issue de la diversité, explique Louise Lantagne. Or, les consultations ont plutôt révélé que les premiers intéressés voulaient se développer en tant qu’entreprises, ce qui suppose de conserver sa propriété intellectuelle. En effet, les marques et les droits d’auteur sont l’objet véritable de toutes les transactions en matière culturelle. 

La SODEC a donc opté pour le pairage : les nouveaux venus travailleront en collaboration avec une entreprise établie, mais de sorte à garantir qu’ils conserveront leurs droits. « C’est dans la lignée de ce qu’on a toujours fait. On sera là pour les accompagner. » 

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