Maurice Richard et son frère Henri ont marqué l’histoire du club de hockey Canadien, mais les fratries ont toujours pesé dans le sport professionnel. On pense aux prouesses d’Isabelle et Paul Duchesnay en patinage artistique ou à celles des sœurs Williams, Serena et Venus, en tennis. Sans compter quelques grosses nichées de hockeyeurs, telles que les trois Šťastný, les quatre Staal et les six Sutter !
Mais c’est clairement au plan de la variété que se distinguent les Darche, Jean-Philippe (B.Sc. 1998) et Mathieu (B.Comm. 2000). Ces deux anciens de McGill ont excellé dans des sports très distincts : hockey et football.
Jean-Philippe a joué neuf ans dans le football professionnel dont six avec les Seahawks de Seattle et deux avec les Chiefs de Kansas City – avec qui il collabore toujours, désormais à titre de médecin.
Quant à son frère Mathieu, il a fait une carrière de hockeyeur professionnel pendant presque 13 ans, dont les trois dernières avec les Canadiens de Montréal – mais c’est en tant que directeur général adjoint du Lightning de Tampa Bay qu’il a soulevé deux fois la Coupe Stanley.
Quand on sait qu’une troisième Darche, leur sœur aînée Isabelle, a pratiqué la natation jusqu’au niveau national, on est bien obligé de se demander ce que les parents Darche mettaient dans les céréales de leurs rejetons.
« Nos parents nous ont initiés à tous les sports. Ils nous encourageaient sans jamais nous pousser. Ce qui les intéressait, c’était notre développement personnel », raconte Mathieu Darche. Son aîné de 21 mois, Jean-Philippe, insiste sur le fait que ses parents n’ont jamais manigancé pour leur obtenir des places sur les meilleures équipes ni plus de temps de jeu. « On rêvait de devenir professionnel, mais il n’y avait pas de programme. »
Ce dont convient Édouard, le père : « On en a fait du kilométrage entre les compétitions de natation et les parties de hockey et de football. Même s’il fallait souvent se lever très tôt, je ne le regretterai jamais. »
Les deux frères appartiennent à la troisième génération de Darche diplômés de l’Université McGill après leur arrière-grand-père Clément-Édouard Darche (M.D.C.M. 1899) et leur grand-père Jean Henri Darche (M.D.C.M. 1939). Son fils Édouard, promis à la médecine, a étudié deux ans à McGill avant de bifurquer vers la comptabilité.
Pas étonnant donc qu’au sein de l’équipe de football de McGill, Jean-Philippe ait cultivé des liens particuliers avec les deux médecins de l’équipe, Scott Delaney (M.D.C.M. 1991) et Vincent Lacroix (B.Sc. 1986, M.D.C.M. 1990), mais aussi avec David Mulder (M.Sc. 1965), qui était alors doyen de la chirurgie à la faculté de médecine et médecin-chef du Canadien.
Mathieu, même s’il avait de la facilité à l’école, n’a pas étudié avec le même enthousiasme. « Mon épouse, Stéphanie Roberge (B.Comm. 2001), que j’ai connue à McGill, me taquinait que mes livres craquaient parce que je ne les ouvrais pas assez. »
Selon Earl Zukerman (B.A. 1980), agent d’information sportive à l’Université McGill, Mathieu Darche ne se rend pas justice. « Comme son frère, il a recueilli les plus grands honneurs comme athlète étudiant. Entre autres, en 2000, il a décroché le Prix Dr. Randy Gregg, qui récompense la réussite sportive et académique et l’implication citoyenne chez un athlète canadien. Deux ans plus tôt, Jean-Philippe avait reçu l’équivalent pour le football, le Prix Russ Jackson. »
Devant l’occasion d’une carrière professionnelle, Mathieu n’a pas hésité, mais le cas de Jean-Philippe a fait débat chez les Darche. « Ma femme n’était pas très contente que Jean-Philippe abandonne la médecine pour faire du football professionnel, mais j’étais certain qu’il reviendrait », se rappelle Édouard.
À l’origine, Jean-Philippe s’attendait à faire une ou deux saisons avant de revenir rapidement à la médecine. Sauf que ses affaires au football ont trop bien marché ! Spécialiste des remises longues chez les Argonautes de Toronto, il ne s’attendait pas à être recruté au football américain. « Là, c’est devenu compliqué, parce qu’en prolongeant ma carrière, je risquais de perdre mes deux ans de médecine – les deux pires années, qu’aucun étudiant ne veut revivre. »
Mathieu croit tout de même que c’était la bonne décision, car le train d’une carrière sportive doit être pris quand il passe. « Les études, on peut toujours les reprendre », explique Mathieu, qui aura été l’un des principaux soutiens moraux de son frère pendant toute sa carrière, et vice-versa pour Jean-Philippe. « Nos garçons s’appelaient presque tous les jours », raconte Édouard. « Même s’ils pratiquaient deux sports très différents, ils vivaient les mêmes questionnements vis-à-vis de leurs entraîneurs, de leurs coéquipiers, etc. »
Car, explique-t-il, la gestion d’une équipe professionnelle dans un contexte de plafond salarial demande beaucoup de créativité. « Une équipe, ce n’est pas juste des joueurs. Je dirige 65 personnes en dehors de la glace : des dépisteurs, des entraîneurs, des analystes. Si on veut une équipe gagnante, il faut assurer le leadership sur l’ensemble. »
Jean-Philippe, lui, continue de suivre de très près l’évolution du sport professionnel. À titre de membre du comité de la NFL sur la sécurité et la santé des joueurs, il voit passer toutes les études sur les crampons, les casques, les protège-dents, les surfaces de jeu. Les traitements se perfectionnent au point où une blessure n’est plus la fin d’une carrière.
En matière de commotion cérébrale, les joueurs, les parents, les équipes ont moins tendance à cacher les symptômes. « On suit de très près toutes les évolutions. Actuellement, on aimerait remédier au fait que les joueurs se blessent davantage en début et en fin de saison. »
Quand on demande aux deux vétérans si les universités canadiennes devraient en faire plus pour encourager le sport de haut niveau chez leurs étudiants, les deux frères posent un regard différent.
Jean-Philippe étonne en jugeant que les universités canadiennes en font assez. L’erreur, dit-il, serait de trop se comparer aux universités américaines qui investissent des millions dans ce qui ressemble à des mini-ligues professionnelles. « Les universités canadiennes offrent d’excellentes occasions et produisent d’excellents athlètes étudiants. Comme ça devrait être. »
Mathieu, qui avait assumé la présidence de la Ligue de hockey préparatoire scolaire en 2016, croit profondément aux vertus pédagogiques du sport. Il juge anormal que seulement trois universités québécoises offrent un programme de hockey universitaire. « Notre système public comporte bien des avantages, mais un de ses défauts amène à regarder de haut le sport. On tend à dire qu’on n’investira pas des fonds publics dans le sport aux dépens du curriculum académique. Moi, je trouve ce raisonnement déplorable. Le sport étudiant a de nombreux avantages, dont l’acquisition d’une discipline de travail, et il permet de garder des jeunes à l’école, notamment les garçons. »