Dans l’univers de la musique pop, rythmé par les tendances et la viralité éphémères, peu d’artistes peuvent se vanter de résister à l’épreuve du temps comme David Macklovitch (B.A. 2000, M.A. 2000), alias Dave 1, guitariste et chanteur du duo électro-funk Chromeo.
Le groupe a entamé une tournée à la suite de la sortie de son dernier album, Adult Contemporary, qui s’est hissé jusqu’au 21e rang du classement dance du magazine américain Billboard.
Depuis plus de vingt ans, David Macklovitch et son complice au synthétiseur et au vocodeur, Patrick Gemayel, alias P-Thugg, donnent un nouveau souffle au funk des années 1980 sur les pistes de danse du 21e siècle.
Si le duo montréalais n’avait pas réussi à percer, David Macklovitch serait probablement devenu professeur de littérature française à l’université.
Son parcours universitaire a débuté en 1997, au Département de langue et de littérature françaises de McGill, dont il a obtenu un baccalauréat, puis une maîtrise. Il a ensuite réalisé un doctorat et obtenu une bourse d’excellence en enseignement à l’Université Columbia, qu’il avait préférée à Harvard, Princeton et Yale où sa candidature avait aussi été acceptée.
Le milieu universitaire et l’enseignement lui manquent encore aujourd’hui, mais l’appel de la musique a été plus fort.
Durant ses études à McGill, David Macklovitch fréquentait de près la scène musicale underground. Il cogérait un magasin de disques hip-hop du nom de Science, situé dans le même immeuble que le magasin DNA Records appartenant à Tiga, un DJ dont la renommée s’étendait bien au-delà de Montréal.
Le soir venu, il produisait des pistes pour les plus grands noms du hip-hop francophone et anglophone, comme Sans Pression et Shades of Culture, en plus de gérer la maison de disques Audio Research, qu’il avait cofondée avec son frère cadet, le DJ A-Trak (Alain Macklovitch, ancien étudiant en sciences à McGill).
C’est Tiga qui a décelé en lui un potentiel musical d’un autre genre. « Dans sa boutique, Tiga voyait plein de gens acheter les disques hip-hop que j’avais produits, et il m’a proposé de faire autre chose pour sa maison de disques », se souvient-il.
Cédant à la curiosité, il a saisi l’occasion, même si la musique électronique lui était étrangère. « J’étais un enfant du hip-hop, dit-il. J’aimais le funk, le soul, le rock, mais je connaissais peu la house et les autres genres de musique électronique. »
Ce virage a abouti à la formation de Chromeo. « Nous sommes partis d’un concept avant d’y associer de la musique », explique-t-il.
Les premières années ont été exploratoires, le duo se cherchant une esthétique et une mission propres. Au fil des expériences, des maquettes et des collaborations avec des talents plus accomplis, les deux musiciens se sont forgé un style ancré dans le funk des années 1980 qui, à l’époque, était peu apprécié.
En s’inspirant de références comme Rick James et Cameo, Chromeo rendait hommage à ce genre d’une ère révolue.
« Beaucoup d’artistes s’essayaient à revisiter la musique des années 1980, mais s’y prenaient mal », estime le chanteur.
Le duo était animé par un véritable amour de ce genre musical et le désir d’abattre les préjugés culturels.
David Macklovitch assure que ses études à McGill ont influé sur la vision du groupe.
« J’ai étudié la sémiotique, dit-il. Quand on appréhende le monde à partir d’un système de signes, tout devient clair. » Sous cet angle analytique, Chromeo s’est défini comme un projet musical doté d’une mission culturelle, celle de réhabiliter le funk pour la nouvelle génération.
Le succès n’a pas été immédiat, mais avec son premier album, She’s in Control, le duo a jeté les bases d’une carrière longue et florissante.
Son troisième opus, Business Casual, a scellé la réputation internationale de sa musique aussi raffinée que branchée.
Sa popularité a grandi au rythme de son évolution. Chromeo a sillonné le monde, partagé la scène avec de grosses pointures telles que les Beastie Boys, Kanye West et les Chemical Brothers, séduisant un public toujours plus nombreux.
Pourtant, David Macklovitch reste modeste : si son groupe a redonné ses lettres de noblesse au funk des années 1980, ce sont d’autres artistes comme Bruno Mars qui l’ont réellement popularisé.
« Nous avons toujours cru en nous, mais il fallait que d’autres artistes bien plus talentueux s’approprient cette musique pour la propulser au sommet des palmarès. »
Chromeo doit son succès à sa capacité de s’adapter aux changements dans l’industrie musicale tout en restant fidèle à sa vision. Après 20 ans de carrière, Dave 1 et P-Thugg sont restés des figures emblématiques du genre qu’ils voulaient faire renaître. D’abord perçue comme rétro et décalée, leur musique a nettement influencé l’évolution de la pop.
David Macklovitch se félicite de la longévité du groupe. « Depuis nos débuts, seuls un ou deux de nos titres se sont hissés au palmarès des 40 meilleures chansons, mais nous sommes toujours là », souligne-t-il.
Si le musicien reste humble, le succès du groupe ne l’est pas pour autant : trois de ses six albums se sont classés au classement 200 de Billboard, et Head Over Heels, sorti en 2018, était en lice pour un prix Grammy. De plus, Chromeo cumule sept nominations aux prix Juno.
Le talent du duo est largement reconnu par ses pairs, comme en témoignent ses collaborations avec Daryl Hall, Solange et, sur son dernier album, La Roux.
Rétrospectivement, David Macklovitch considère que le groupe a réussi sans jamais renier ses principes. Certes, il n’a pas atteint des sommets comme d’autres de ses contemporains (du moins, pas encore), mais il n’a rien perdu de sa notoriété, car elle repose non pas sur des tendances, mais sur le renouveau d’un genre oublié.
« Dès le départ, nous étions convaincus d’avoir choisi la bonne voie, dit-il avec fierté. Et nous n’en avons jamais dévié. »