Un concours de sommellerie, c’est bien plus que se tremper les lèvres dans un verre. En plus de pouvoir déceler les qualités et les défauts d’un vin, il faut savoir répondre à toutes les demandes de la clientèle d’un restaurant, depuis la préparation de cocktails jusqu’à la recommandation d’un saké.
« C’est difficile de déguster et de servir un vin. La clé, c’est de faire en sorte que ça semble facile devant les convives », affirme Hugo Duchesne (M.A. 2002).
Il a été nommé meilleur sommelier du Québec en 2019 et figure depuis parmi les plus renommés de la province. Cette année, en tant que représentant du Québec et du Canada, il s’est classé deuxième au concours du meilleur sommelier des Amériques de l’Association de la sommellerie internationale, qui avait lieu à Santiago, au Chili.
Dans un enregistrement vidéo intense, on voit les trois finalistes du concours qui doivent faire décanter, verser et décrire des vins à une table de juges jouant les clientes et clients d’un restaurant, identifier en quatre minutes six verres contenant des alcools incolores (pisco péruvien ou grappa italienne?), ou encore sélectionner six vins dans une liste et improviser un menu dégustation pour les accompagner. Le tout, dans une langue qui n’est pas la leur.
Les vingt sommelières et sommeliers ayant participé au concours devaient d’abord réussir un examen de 100 questions en 90 minutes, déguster et décrire des vins complexes et faire preuve d’un service impeccable. De ce nombre, six ont été retenus pour les demi-finales. « C’est très difficile d’arriver jusque-là, souligne Hugo Duchesne. Quand on entend son nom, c’est une joie immense! »
Il a trouvé les demi-finales plus difficiles que la finale, en particulier la diabolique épreuve du thé : six bols contenaient différentes feuilles séchées qu’il fallait identifier visuellement (sans les sentir), déterminer les méthodes idéales d’infusion et de service, et suggérer des accompagnements. Le tout en quatre minutes.
Mais le plus difficile, pour Hugo Duchesne, a été de gérer son stress.
Il a été surpris de la camaraderie qui régnait entre les concurrentes et concurrents. « Ce n’est pas une compétition contre les autres, mais contre soi-même », note-t-il. Pour s’exercer entre les épreuves, les participantes et participants se lançaient des défis : nommer cinq producteurs de la région du Maule, au Chili, ou constituer un menu de cinq services accompagnés uniquement de vins américains, par exemple.
Pendant ses études supérieures à ce qui est aujourd’hui le Département des littératures de langue française, de traduction et de création de l’Université McGill, Hugo Duchesne travaillait à la fromagerie Hamel, au marché Jean-Talon, dont le propriétaire, grand amateur de vins, se faisait livrer des caisses de bouteilles d’importation privée au magasin. Le jeune étudiant lisait les étiquettes avec intérêt. « Chaque bouteille renfermait un monde de saveurs, de connaissances et de voyages », confie-t-il. L’œnologie lui apporte la même satisfaction qu’un livre, par la découverte de nombreux viticulteurs de différentes régions, de leurs différentes pratiques et des caractères distinctifs de chaque cépage. « C’est de la pure poésie! Ça m’a toujours fasciné », confie le sommelier.
Après une bonne journée à la boutique, le propriétaire aimait ouvrir quelques bouteilles à déguster. Il emmenait parfois les membres de son équipe dans les meilleurs restaurants de Montréal, où les serveuses et serveurs venaient à leur table parler des vins et du menu et allaient consulter le chef.
Captivé par cet univers et avide d’en apprendre davantage, Hugo Duchesne a décidé de marquer une pause dans les études auxquelles il s’était destiné. Après sa maîtrise, il s’est inscrit à un programme d’un an en sommellerie.
Il a pu mettre à profit les bonnes habitudes et la discipline qu’il avait acquises auprès de professeurs exigeants comme Yvon Rivard ou encore François Ricard (M.A. 1968), qu’il qualifie de « professeur de littérature le plus sévère du Québec ». Sa thèse portait sur Milan Kundera (La vie est ailleurs est son livre préféré). « J’étais fier d’étudier à McGill et de réussir, dit-il. J’aimerais conserver la rigueur que j’y ai acquise dans ma vie professionnelle, ce serait un bel [héritage]. »
Après une brève période à travailler dans des restaurants, il a ouvert le sien, La Montée de lait, dans un petit local d’une rue résidentielle du Plateau Mont-Royal, qui a séduit les critiques. Aujourd’hui, il est directeur de la sommellerie pour les restaurants h3, à Montréal, et Le Coureur des bois, à Belœil, et il donne parfois des cours à la SAQ.
En tant que propriétaire de restaurant, il travaillait de longues heures, mais à son nouveau poste, il peut rentrer presque tous les soirs à la maison auprès de ses trois enfants (11, 8 et 5 ans). « Le temps passe trop vite, mais au moins, je profite du moment présent, dit-il. La vie, c’est maintenant. »
Il se réjouit de la nouvelle tendance aux vins légers et gouleyants, et il constate avec satisfaction que les consommatrices et consommateurs se soucient de plus en plus
des impacts de l’industrie viticole sur l’environnement. Il prédit une hausse soutenue de la popularité des vins naturels et biologiques, qui sont fabriqués selon les méthodes d’avant la Première Guerre mondiale, lorsque l’industrialisation a permis de maximiser la production et encouragé les interventions comme l’ajout de sucres et de levures. « Nous renouons avec la façon de faire de nos ancêtres », remarque-t-il.
Il est convaincu que les vins locaux deviendront la norme. « Dans 20 ans, une carte des vins comprendra au moins 25 produits de la région », soutient-il.
Sans surprise, il apprécie les vins du Québec, issus de vignes hybrides qui résistent bien à notre climat, plutôt forts en acidité et faibles en alcool. Il affirme que les producteurs d’ici gagnent en confiance et prennent volontiers des risques, par exemple en laissant les fruits mûrir un peu plus longtemps.
En général, Hugo Duchesne se méfie des tendances. Les hipsters s’emballent pour des vins portant des étiquettes comme « biologique », « naturel » ou « orange » (une sorte de vin blanc dont une partie de la fermentation des raisins se fait avec la peau). Or, dans leur hâte de profiter de l’engouement qu’ils suscitent, certains vignobles commercialisent des produits qui développent des imperfections (un risque courant), et dans le milieu de la sommellerie, certaines personnes sont trop aveuglées par le battage entourant ces modes pour percevoir un excès d’acidité volatile ou l’oxydation d’un vin. « On a tendance à faire abstraction des [imperfections], car c’est la philosophie derrière le produit qui compte », regrette le sommelier.
À celles et ceux qui souhaitent en apprendre plus sur les vins, il donne le même conseil qu’à ses étudiantes et étudiants et à sa clientèle : « Ayez confiance en vous, faites confiance à vos sens. Notez vos impressions, constituez-vous un guide des vins personnel. » Consignez vos préférences : si vous avez aimé un sangiovese, commentez ses notes de violette et de pivoine, ses tons d’origan ou de sauge, l’effet de son acidité diminuant celle des aliments. N’hésitez pas à demander conseil à un membre du personnel de votre SAQ ou à une sommelière ou un sommelier. Mentionnez une bouteille que vous avez aimée pour vous en faire recommander une semblable. « Et gardez l’esprit ouvert. »
Les accords fromage-vin (encadré)
Le fromage et le vin ne font pas toujours bon ménage. Quand on y pense, ça tombe sous le sens, puisque les régions réputées à la fois pour leurs vins et leurs fromages sont plutôt rares. Hugo Duchesne préfère associer des fromages à des vins matures, exempts de tanins et dotés d’une structure aromatique équilibrée. Contrairement à l’usage, le vin blanc s’accorde mieux avec les fromages que le rouge. Le sommelier privilégie les associations classiques, comme un comté et un savagnin du Jura, un chèvre et un vin à forte acidité, un cheddar salé et un vin doux comme le madère, ou encore un camembert fermier et un bon chardonnay français bien corsé. Un régal pour un pique-nique!