Matthew Rankin (B.A. 2001) était très étonné d’apprendre que son film, Une langue universelle, allait représenter le Canada dans la course à l’Oscar du meilleur film international cette année.
« Quand on l’a terminé, on adorait ce film, mais on n’espérait rien de plus qu’il soit projeté dans un séminaire en immobilier », plaisante le réalisateur.
Il reprend sur un ton plus sérieux : « Je n’aime pas être le centre de l’attention. Je n’aime pas les tapis rouges. Je n’aime pas porter un costume. Mais ce film est une véritable œuvre collective. Alors si c’est une preuve qu’il a vraiment touché le public, c’est très bien. »
Et en effet, le film a séduit les cinéphiles autant que les critiques. Lors de sa première l’an dernier, il a remporté le tout premier Prix du public décerné dans le cadre de la Quinzaine des cinéastes au Festival de Cannes. Ensuite, les festivals et les récompenses se sont enchaînés : Hambourg, Melbourne, Gand, Nashville, Stockholm, Toronto, Valladolid, Vancouver, Calgary, Thessalonique… Le très prestigieux National Board of Review aux États-Unis l’a inscrit à son palmarès des meilleurs films étrangers en 2024.
Matthew Rankin reconnaît qu’il n’est pas seul derrière ce succès et partage volontiers les éloges. « C’est la réussite de toute mon équipe, et je trouve ça merveilleux. »
Dans son film, cet ancien étudiant en histoire passionné de cinéma iranien réinvente un Canada où les langues officielles sont non plus l’anglais et le français, mais le farsi et le français.
L’histoire nous emmène à Winnipeg, où des enfants persanes tentent de récupérer de l’argent emprisonné dans la glace (dans ce Canada fictif, les billets sont à l’effigie de Louis Riel), tandis qu’un fonctionnaire québécois (incarné par Matthew Rankin lui-même) part de Montréal pour aller rendre visite à sa mère dans la capitale du Manitoba.
« Je pense que le Canada peut et doit être perpétuellement redéfini. C’est ainsi qu’on en fait un pays nouveau. »
Matthew Rankin
Une passion pour l’histoire
À l’Université McGill, Matthew Rankin a d’abord étudié la littérature anglaise. « À mon arrivée à Montréal, je ne parlais pas français, raconte-t-il. J’ai compris en deux semaines que tout ce qui pouvait vraiment m’intéresser dans cette ville se passait en français. J’ai donc commencé à apprendre la langue de manière intensive. »
Il a aussi changé de domaine d’études. « Je me suis intéressé à l’histoire du Québec. »
Son départ de Winnipeg pour s’établir à Montréal coïncidait avec un moment historique.
« C’était après le référendum, et le malaise était palpable. C’est cette atmosphère particulière qui m’a conduit sur cette voie », explique-t-il. Il avait déjà réalisé des films durant ses études à McGill, mais plus par plaisir que par ambition professionnelle. « J’ai appris le montage [dans un cours à McGill] avec le grand et regretté Brian Morel », dit-il.
Il a ensuite obtenu une maîtrise en histoire de l’Université Laval, mais il s’est arrêté là, car le doctorat et la carrière universitaire ne l’intéressaient pas.
« Mes études me plaisaient beaucoup, mais j’en suis arrivé à la conclusion que mon rapport à l’histoire n’était pas de nature scientifique, analyse-t-il. Je m’intéressais davantage à ce que l’art seul peut transmettre. J’ai donc décidé d’être artiste. J’ai fait vœu de pauvreté, je suis retourné à Winnipeg, j’ai fait de l’art pendant trois ans et j’ai fini par revenir ici. »
Après quelques courts métrages primés, le réalisateur a sorti son premier long métrage en 2019. Le vingtième siècle est une réinterprétation de l’ascension au pouvoir de l’ancien premier ministre canadien William Mackenzie King. Nommé dans huit catégories aux prix Écrans canadiens, il en a remporté trois.
Inspiré par le cinéma d’avant-garde et l’esthétique d’Expo 67, ce film est une exploration visionnaire de l’histoire. Le New York Times l’a décrit comme « un exploit de design visuel » et « une réinvention fébrile du Canada au tournant du 20e siècle ».

« L’histoire est la trame narrative de toute mon œuvre, qui tire ses origines de mes premières années d’études en histoire à McGill, note le réalisateur. C’est l’idée de donner une forme au passé et à la réalité par l’image cinématographique. »
Son style se distingue par une vision humoristique du passé – Le vingtième siècle, par exemple, n’a rien d’un film biographique classique.
« J’aime jouer avec les codes, soutient-il. Je pense que le Canada peut et doit être perpétuellement redéfini. C’est ainsi qu’on en fait un pays nouveau. »
Une langue universelle
Son dernier film dépeint donc un Canada où le farsi a remplacé l’anglais comme langue officielle.
« J’ai appris à lire et à écrire en farsi dans un cours [à l’Institut] d’études islamiques à McGill », précise Matthew Rankin. Et il continue d’apprendre. « C’est la langue que je maîtrise le moins. »
Il est allé plusieurs fois en Iran et fréquente des amis qui en sont originaires, mais « ces personnes parlent tellement bien anglais et français que je finis par me rabattre sur l’anglais. Je progresse donc très lentement ».
Ce passionné d’histoire l’est également des langues. Il affirme que son arrivée à Montréal pour étudier à McGill a changé le cours de sa vie.
« Je ne parlais pas français, mais j’ai suivi des cours et je pouvais pratiquer tous les jours, partout où j’allais. » Il désapprouve la politique du gouvernement caquiste qui met des bâtons dans les roues aux étudiantes et étudiants des autres provinces qui veulent s’inscrire à des universités anglophones au Québec. « Je n’aurais jamais appris le français si je n’avais pas étudié à McGill », souligne-t-il.
S’il avait commencé ses études universitaires seulement aujourd’hui, il ne serait sans doute pas allé à McGill dans ce contexte. « J’adore l’histoire du Québec, j’adore le français, et ç’aurait été tellement dommage de passer à côté de ça, confie-t-il. Je resterai toujours attaché à Winnipeg, où j’ai vécu la première partie de ma vie, mais c’est l’identité montréalaise que je me suis choisie. »